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Écrits de Marc Hodges
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5 décembre 2013

Des objets

Nous sommes (je suis…) entourés d’objets la plupart du temps inutile mais dont nous ne parvenons pas à nous résigner à jeter. Une vieille boîte émaillée au paysage désuet, une statuette de bronze Orissa représentant de façon naïve Ganesh, le « seigneur des catégories », dieu-éléphant de la sagesse, de l’intelligence, de l’éducation et de la prudence, une peinture naîve sous-verre représentant Saint-Georges terrassant le dragon, un vieux dictaphone dont je ne sais même pas s’il fonctionne, un petit diable rouge, cornu et très sexué de papier mâché soufflant dans une longue trompette dorée, un netsuke d’ivoire représentant un gras bouddha bedonant, deux ou trois coupelles de porcelaine fine, un vase cylindrique d’acier brossé, la vieille carte de vœux d’un ami artiste… Parmi tant d’autres dont je vous épargnerai la description, la plupart d’entre eux sans réel intérêt artistique et sans aucune valeur marchande. Et des photographies, des dizaines de photographies posées au hasard des étagères, devant des livres, à côté du téléviseur, sur le rebord des fenêtres ou de mon bureau… En tous lieux où une petite place vide me permet de les installer. Tous ces objets, la plupart du temps, nous ne les voyons pas. Ils sont là, simplement, ils forment notre cadre de vie, définissent pour ceux qui viennent chez nous, ce que nous sommes. Silencieux, inutiles, immobiles, ils s’accumulent au fil du temps, envahissent notre espace quotidien, s’empoussièrent calmement mais nous ne voulons pas les jeter car la plupart d’entre eux sont notre mémoire car pour vivre nous devons oublier, l’existence est une longue fuite en avant vers le trou noir qui nous attire inexorablement et les objets sont un des rares moyens dont nous disposons pour faire une pause, mieux même, revenir un temps en arrière. Regardant le netsuke, je me souviens de cette époque où j’étais très lié à un couple avec lequel, par un dimanche de fortes pluis, nous avions, sur un coup de tête, pris notre voiture pour aller à une vente aux enchères dans une assez lointaine petite ville de province où, sans ce prétexte, nous ne serions jamais allés. Me reviennent alors en mémoire une foule de détails comme notre joie, le plaisir d’être ensemble, le repas que nous avions pris, sur la route, dans un petit restaurant routier : plus que d’un souvenir il s’agit alors d’une foule de minuscules sensations que j’éprouve à nouveau et me font oublier que le temps a passé m’emportant vers d’autres choses. Quant aux photographies, objets-fétiches indispensables pour reconnaître des amis qui se sont éloignés, des lieux où je n’aurai plus jamais l’occasion d’aller, des moments de joie écrits par de si nombreux sourires car nous ne photographions jamais le deuil ou la tristesse, et, si cela arrive, nous ne l’affichons jamais. J’ai ainsi, dans une boîte où j’enferme des documents trop personnels pour être exposés, une photo de ma mère sur son lit de mort dont la vue m’est insoutenable. Cette boîte est comme un second cercueil dont je connais la présence mais que je n’ouvre jamais. Nos objets sont ce que nous avons été, ils font partie de nous-mêmes au même titre que nos jambes, nos bras et nos ongles, ils sont une externalisation religieuse de notre mémoire et seuls ceux qui, comme les moines ou les ermites, veulent nier leur passage sur terre pour un au-delà dont ils attendent tout, sont capables de s’en passer.

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