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Écrits de Marc Hodges
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19 janvier 2017

Un amour de campagne

Je n’ai jamais été marié. et je crains n’avoir connu en amour plus de déceptions que de satisfactions et trop inquiet de l’avenir, je n’ai jamais voulu avoir d’enfant, pourtant ma vie sentimentale et amoureuse a été riche, plusieurs fois j’ai aimé et j’ai été aime. Mon premier amour sérieux, sûrement construit sur le désœuvrement, la solitude et le vide intellectuel absolu de La Roche fut celui que j’éprouvais pour Sophie l’institutrice du village. Tout nous poussait l’un vers l’autre t, chaque jour, il me tardait que l’école ferme pour que je puisse la rejoindre. Elle était jeune, fraiche d’esprit et de pensée et semblait m’admirer pour la culture que je possédais et qu’elle ne possédait pas. Le fait que j’écrivais surtout, celui que j’avais déjà été publié ici ou là, agissait sur elle comme un puissant attracteur. Nous flirtions, un peu, nous embrassions assez souvent, nous caressions longuement mais le village, la réputation qu’elle se devait d’y tenir — et pour cela sa formation d’institutrice ne jouait pas un rôle négligeable — l’empêchait de pousser plus loin ces jeux érotiques qui sont le piment indispensable de l’amour. Le village nous surveillait comme d’ailleurs chacun surveillait chacun. Impossible de cacher mes nombreuses visites à cette maîtresse qui n’était pas la mienne et nos promenades dans la campagne du dimanche n’échappait jamais à l’œil de l’un ou de l’autre. Dans cette surveillance générale, l’apport des élèves de l’école n’était pas des moindres car nous savions qu’ils étaient partout et n’hésitaient pas à rapporter à leurs parents les moindres de nos faits et gestes. Même les murs de l’école ne nous protégeaient pas car nous avions surpris plusieurs fois des enfants montés sur les arbres proches pour essayer de voir ce qui se passait à l’intérieur. Quand nous en reconnaissions un — mais ils avaient l’art de se dissimuler dans les feuillages et même sur les branchages nus de l’hiver — Sophie le convoquait pour lui faire gentiment la leçon lui parlant de mots qu’il ne pouvait comprendre comme intimité, vie privée ou discrétion tant la vie au village se déroulait sans cesse sous les regards de tous. Sa situation ne lui permettait aucun scandale. Bien plus, comme toutes les jeunes institutrices célibataires de ces campagnes isolés, la seule sortie qu’elle pouvait espérer était un mariage, au mieux avec un homme de la ville la plus proche, ce qui lui permettrait d’envisager après quelques années de purgatoire, d’obtenir enfin une nomination dans cette ville, le plus souvent avec un jeune paysan du village ou de ses environs qui l’installerait à demeure dans son école où elle pourrait jouer un vrai rôle social. Même si tout cela n’était pas conscient dans l’esprit de Sophie, elle sentait bien que notre relation ne pouvait se terminer que par un mariage ou par une séparation qui la laisserait vierge. Comme on s’en doute je me trouvait ainsi dans un dilemme plutôt douloureux : ou j’épousais — mais il n’en était pas question — ou je continuais à vivre dans une permanente frustration sexuelle. Cependant je n’avais personne d’autre avec qui je pouvais vraiment discuter et en la présence de qui j’éprouvais une certaine satisfaction intellectuelle. Je cherchai ainsi une solution qui pût me tirer de cette lutte avec honneur à mes propres yeux. Mais il faut beaucoup trop d’énergie pour vivre, résister à toutes les contrariétés, épreuves, contretemps, déceptions, difficultés, imprévus, obstacles… qui sont la matière de la vie même. Je ne suis pas sûr d’avoir eu vraiment le désir de me battre. Faute de possibilité d’actions, notre « amour » se jouait ainsi en mots, comme une autre forme de littérature dont je n’étais pas vraiment dupe.

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