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Écrits de Marc Hodges
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23 juin 2012

le père Mazel

Le père Mazel, « père » étant le titre que, dans cette région de France, l’on donnait alors à tous les chefs de famille de plus de cinquante ans, était assez grand pour un homme de son époque, il devait mesurer un peu plus d’un mètre soixante dix, solide aussi bien moralement que physiquement, un visage assez allongé plutôt énergique. Pour ma part, en dépit du tableau sur lequel il arbore de longues bacchantes, je ne l’ai toujours connu qu’avec une petite moustache bien taillée, de petits yeux vifs, brillants, attentifs, regard pénétrant comme vrille ne laissant rien échapper des êtres ni des paysages. Peau brune comme tannée par le soleil, le froid et le vent ; le cheveu rare, gris, argenté ; béret noir, incliné sur l’oreille gauche, toujours vissé sur la tête ; collé au coin droit de sa lèvre inférieure, un mégot de cigarette d’un fort tabac gris, puant, qui s’éteignait sans cesse, qu’il rallumait de temps en temps avec un briquet « tempête » sentant horriblement l’essence. Comme tous les hommes de plus de quarante cinq ans, il avait échappé à la guerre, aussi était-il devenu, par force, quelque chose comme le sage du village aidant les femmes restées seules à s’occuper de leurs terres, prenant pour toutes en charge les travaux les plus lourds, organisant l’entraide collective pour la vie de tous les jours, naturellement, sans aucune ostentation, s’occupant de toutes et de tous. Pour cela, bien que bourru, peu loquace, amoureux de la solitude et de son indépendance, il était très respecté.

Je ne cesse de me demander pourquoi j'écris… Je sais que je n'ai plus l'âge de commencer une carrière d'écrivain ou même de trouver un éditeur, d'autant que je n'en cherche aucun. N'ayant jamais voulu d'enfant, je n'ai aucun récit familial à léguer à qui que ce soit et Ronald Cline mon petit neveu, n'a jamais manifesté le moindre intérêt pour la littérature… Pourquoi donc, pour qui, n'étant plus intéressé ni par l'argent (est-ce d'ailleurs une façon d'en gagner?) ni pour la gloire? Peut-être suis-je davantage pétri de mots que je ne le pensais, nous sommes des êtres linguistiques, nos langues nous fondent et nous maintiennent. J’ai besoin de parler et, mes brèves et rares et vides conversations de bistro ne me suffisant plus, je n’ai d’autre oreille complaisante que celle du papier, ou plutôt de l’écran de mon ordinateur grâce auquel, grâce à l’avancée stupéfiantes des technologies numériques, me permet de croire que, lançant mes textes comme des bouteilles sur l’océan du réseau, ils auront une petite chance d’éveiller des échos dans l’esprit de personnes que je ne rencontrerais jamais. Paroles gelées. Rabelais avait déjà imaginé cet océan où les mots, les phrases, oubliés mais conservés éternellement, se réveillaient au passage d’improbables voyageurs. C’est pour les lecteurs aventuriers que je fige mes textes. J’écris pour essayer de transmettre quelque chose de tous ceux que j’ai un jour connus, embrassés, aimés, haîs, nourriss, soignés, combattus. J’écris pour survivre en eux.

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