La Pierre Plate, 13 heures 11
La campagne se parle dans sa tête. André n'ignore pas qu'il y a des cieux de nuages et des bleus et des soleils ailleurs. Les toits ne sont que des éboulis rocheux parmi les autres. Dans ce paysage, l'homme dérange, dans la lumière, le toit métallique d'une grange moderne, brille au loin, le ciel dévore l'herbe maigre, un vieux chien noir-blanc le suit comme une ombre, seul son halètement rythme le temps. André ne connaît pas de règles, reste partagé entre la tentation du vrai et celle de l'utile. Il voudrait compter l'infinité des pierres des murs. Il s'enthousiasme du spectacle de la campagne et tourne cependant en ridicule dans sa tête les évocations qu'elle lui inspire. Il doit se mettre en garde contre lui-même. Il a le cœur déchiré. L'espace s'organise aux alentours de sa personne en hauteur et en profondeur.
Il est tellement vêtu de ville et de murs… il y a ici quelque chose qui est mis partout entre ce qui est vivant et lui. Il
s'éloigne et sourit, il parle d'un monde totalement ouvert. Ses
mots doivent servir à confirmer les choses, à marquer la possession. Il se
coule dans les ruisseaux tièdes de l'air.
Il est porté en avant par ses souvenirs,
ramené par eux en arrière, endosse un à un les vêtements de l'air pur dont les
friselis lui semblent parfois des souffles. Il juge de la mort par les
beautés de la vie. Sa rage est
inaccessible. Il pourrait quitter tout cela, ne s'y résigne pas. Les collines
sont comme dévorées par la lèpre verte-orangées des buissons de buis. André Pagès pense
que ce lieu est cerné de hautes falaises qui le coupent du monde et le
transforment en île. Il essaie de ramener à la surface de sa mémoire une
journée, un matin, une heure… Il attend quelque chose, ne sait quoi, mais
attend… De minuscules champs sont soigneusement sertis dans le moindre creux des
collines. Il désire aussi sa solitude de la grandeur. Sa route est solitaire.