La fatigue
Baisser les bras; Souvent je baisse les bras. J'ai un
millier de projets, des dizaines de milliers d'idées
qui me traversent le cerveau et je n'en réalise
aucun car au moment de me mettre au travail, de réaliser
concrètement ce que tel projet;
telle idée; implique je suis écrasé
par un vertigineux sentiment d'inutilité,
syndrome du "à quoi
bon". A quoi bon écrire
tel roman puisque de toutes façons
je ne ferai pas ensuite l'effort nécessaire
pour qu'il parvienne dans les mains de lecteurs éventuels,
à quoi bon écrire pour ajouter mes élucubrations aux millions de pages
déjà écrites
et, au mieux, enfermées dans
les soutes des bibliothèques où seuls les rats, s'ils y avaient accès, pourraient trouver quelque
satisfaction. Où sont passés Dorat, De Gilbert, Gresset, tant
d'autres encore et les milliers de pages qui leur ont pris tant de temps à écrire
? A quoi bon donner mon opinion sur le monde alors que personne ne le demande ni
l'attend, à quoi bon se démener, travailler, agir alors,
qu'inexorable, le temps passe effaçant
sur son sable les traces de nos pas?
Je suis ainsi sans cesse écartelé entre un désir réel
d'action et le sentiment permanent de l'inutilité
de toute action. Je n'ai pas d'ambition sociale, pas de désir de notoriété,
je ne demande qu'à vivre mais
je ne sais toujours pas ce que j'entends par là.
Respirer, manger, baiser; ne me suffisent pas, courir, nager, pédaler (mettre mon corps en flamme)
ne me donnent que des satisfactions temporaires et, de toutes façons, le corps lui-même impose ses limites. Mon cerveau
m'encombre, je rêve d'une absence
totale de pensée, d'un état léthargique
dans lequel pourtant je m'ennuie et je n'ai pas envie de mourir, la peau, les
ongles, les dents, le ventre, le sexe, s'y refusent.
Il n'y a pas de solution, je le sais d'où cette immense fatigue qui m'englue
comme une mouche dans la toile d'araignée
de mes contradictions. Si j'avance, c'est à
reculons