La Garde, 15 heures 27
Bréauté réfléchit calmement; il note, réfléchit… La vie
semble arrêtée, définitivement, qui enferme les hommes. Il n'est pas pressé.
Rien n'existe ici que par le silence. Il a envie de répondre à ses questions,
pas à celle des autres.
Quand il considère sa vie, il est épouvanté de la trouver
informe. Aussi loin que puisse remonter la mémoire des hommes, ses oncles, son
frère, son père, son grand-père, ont arpenté ce sol cherchant la paix de l'âme.
Dans sa très jeune enfance, il avait à peine connu sa mère qui était rarement à
la maison, aussi l'avait-on confié à sa grand-mère maternelle. Il n'ignore pas
qu'une école hautaine, en ces lieux, serait merveilleuse. Il pourrait quitter
tout cela, ne s'y résigne pas. Il dit se tromper se voulant la mémoire de lieux
qui, exclus de tout temps, ne réclament nulle mémoire. Un monde plein de
souvenirs et d'espérance… Il y a quelque chose qui continue de tournoyer
quelque part au-dessus de lui, rien qu'un étonnement, un sentiment de nulle
appartenance, une solitude pénétrante, une question lancinante qui insiste:
"Qui suis-je?" Le paysage, c'est à l'intérieur de lui-même qu'il le
porte au point qu'il se demande parfois si tout ce qu'il parcourt là est un
monde réel ou, plutôt, s'il n'est pas de l'ordre de l'imaginaire. Bréauté veut
donner la préférence à l'avenir. Quelques pins solitaires torturés par la
chaleur, le froid et le vent rappellent les rigueurs extrêmes du climat.
L'espace paraît soudain sensible, clair et liquide, comme une chose que l'on
pourrait absorber, boire. Il ne doit rien écarter de lui. Qu'il soit aujourd'hui, demain ou qu'il ait pu y
être hier n'a pas grande importance, toute seconde enferme le temps complet et
pour cela ignore les hommes.