Vers la ferme de Combe le Brouze, 17 heures 12

L'éternité semble amoureuse des travaux du temps. Sa parole est lourde, épaisse comme l'argile humide. André Pagès va à gauche, à droite, sans plan préconçu, la terre s'étend devant lui comme une ancienne et chère maison, il veut donner la préférence à l'avenir. Passage de nuages dans le ciel. Il se veut ici totalement chez lui, ne peut pourtant chasser de son esprit une vague peur. Soudain il se sent bêtement heureux, respire à pleine poitrine comme quand on boit: les choses ne lui sont pas muettes, la terre engourdie n'a jamais bougé que d'une faible palpitation, le monde autour de lui est clos comme une coquille. Des champs minuscules emboîtent leur puzzle de vert-gouffre. Son activité incessante est de rechercher en lui des harmonies, d'harmoniser ce monde qu'il porte en lui. Merveilles.

Les murs bas et gris de fermes isolées creusent une lumière sèche et dure. Le ciel luit comme une enfilade de perles d'azur. La vie s'endort dans sa certitude. Il aime lumière, soirée, senteurs. Ici, le passé ne délimite pas la durée. André Pagès respire à pleine poitrine comme quand on boit. Une vibration se concentre dans toutes les parties de l'air, se ramifie, se rassemble sur toute sa surface; L'heure tourne. La notion du temps disparaît, l'avenir vient vers lui comme le passé en un présent unique. Vivre le saoule.

Sur sa droite, s'étale de la rocaille à vipères, dégarnie d'arbres. Un seul chemin vers le centre absolu… Il pense toujours à plusieurs choses à la fois, sait qu'il suffirait de détruire trois ou quatre routes d'accès pour isoler presque définitivement le plateau du reste du monde, y réaliser comme un rêve de pureté. Une ombre courant devant lui, sans qu'il en voit la cause, sur la route blanche et déserte au soleil, le fait tressaillir.

La nature est un soupir dans le malheur.