16 heures 15 : la Bégude blanche
Tout se mêle dans la confusion, Bréauté
est repris par ses rêves: il est seul. Quel lien entre toutes ces
paroles?… Quand il considère sa vie, il est épouvanté de la trouver
informe.
Il pense que le temps va s'étirer encore. Personne ne
vient, c'est un lieu d'adieux, il faut tout mettre au passé…
L'exaltation que provoque en lui la profondeur orgueilleuse de sa
solitude est contaminée par la certitude de l'ennui qu'il éprouve à
vivre. Il considère la pensée comme la zone neutre de l'âme, pense
toujours plusieurs choses à la fois. Il sait que c'est bon de marcher
ainsi, infiniment… Il ferme les yeux, les rouvre, les referme, cherche
dans la solitude le chemin qui mène à lui-même. Peu de choses!…
Vert-gris
et vert-jaune… Le paysage est secrété par le ciel ; à ras de terre, une
vie multiforme et discrète affirme la tranquille continuité de la
nature: deux bourdons s'affairent sur des fleurs de trèfle. Seule note
moderne, un paysan, au loin, s'affaire sur son tracteur. L'heure
tourne. Dans sa méditation, hier, demain s'annulent. Isolés, séparés de
la protection des bois, les arbres ont tous quelque chose de fragile,
torturé. Bréauté voudrait réinventer à partir d'elle-même la terre,
l'air et le feu sans jamais être paralysé par leur beauté. Il hait la
ville qu'il ne peut se résoudre à quitter, il n'est pas le seul à subir…
Dans
sa très jeune enfance, il avait à peine connu sa mère qui était
rarement à la maison, aussi l'avait-on confié à sa grand-mère
maternelle: il a coutume de se laisser emporter par ses rêves… Il
pense aux vies grevées de grandeur, les désespoirs si longtemps tus
dont se fait cette nature égoïste: au plus rude de sa mémoire,
collines, nuages, rires, merveilles, bonheur, bonheurs et souffles…
Le
mystère sans parole de la nature et l'ombre silencieuse du passé sont
entrés en lui, des murs bas bordent le chemin à droite et à gauche: il
va sans savoir où il va mais plus sûr de ses pas que si une volonté
lucide le menait.