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Écrits de Marc Hodges
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27 mars 2015

J’ai jeté ma vie aux orties de l’écriture

Curieuse sensation que celle de raconter sa vie en espérant, même s’il y a dans cet acte beaucoup de nombrilisme et de narcissisme que ce récit puisse intéresser quelqu’un d’autre. Le problème de la carte et du territoire s’y pose sans cesse. Par exemple, j’écris : « je dors toujours du côté droit du lit » puis je m’arrête, me demande alors qui cela peut bien intéresser ? Pourquoi un tel détail dans une autobiographie et pourquoi pas d’autres comme « je me ronge sans cesse les ongles » ou « je vais à la selle de façon très régulière ». Tout cela, c’est moi aussi, tous ces détails expliquent peut-être mieux la singularité de mon être que des événements considérés comme plus importants et pose de façon absolue la possibilité, la nécessité d’une écriture. Poète-brocanteur, écrivain-libraire, aventurier-diariste, ouvrier-journaliste, poète-SDF, écrivain-voyageur… J’ai jeté ma vie aux orties de l’écriture. Croyant dans l’illusion de la littérature déverser mes maux de vivre, courant de désillusion en désillusion mais ne sachant rien faire d’autre, j’ai brûlé mes ailes à la flamme dérisoire de l’écriture et, parvenu à la fin de ma vie, ne sachant rien faire d’autre, je persiste dans l’enfermement du récit qui, pourtant, ronge le peu de mémoire qui me reste encore. L’homme est un stupide animal têtu qui ne sait trouver sa vérité que dans son entêtement même. Si tout n’a pas commencé là, dans cette étrange bouquinerie sans bouquiniste visible où un gramophone jouait quelque part « La petite église », une chanson qu'adorait ma mère et que mon grand-père Jules Mazel chantait a capella, lors des fêtes (il avait une si belle voix…). Il devait donc y avoir quelqu’un et ce quelqu’un que je ne voyais pas me fut tout de suite sympathique car il privilégiait son plaisir d’écouter une chanson à celui de répondre à ses clients. L’atmosphère était étrange car la chanson n’était pas vraiment en accord avec le désordre admirable du lieu. J’hésitais un moment sur l’attitude à adopter : partir et ne pas aller au bout de l’attirance que je ressentais, rester et attendre en continuant à creuser dans l’amoncellement de livre pour espérer à repérer quelque ouvrage qui correspondrait à mon expectative, manifester bruyamment ma présence dans l’espoir qu’elle engendrait une réaction. Des « stances à Manon » craquelâtes suivirent « la petite église » puis « amoureuse »… Je compris que je pouvais rester ici longtemps sans que rien ne se manifeste et ce comportement très inhabituel chez un commerçant me fascina encore davantage : je fis du bruit, toussais, claquais la porte, me raclais violemment la gorge et j’entendis enfin le bruit de quelques mouvements qui semblaient provenir d’un lointain labyrinthique. Ils annonçaient la venue d’un petit homme à petites lunettes dorées ovales dont la grande barbe empêchait de lui attribuer un âge relatif. Il était vêtu d’une blouse grise comme les instituteurs que j’avais eu à l’école primaire car au lycée veston et cravate, pour les professeurs comme pour les élèves, était une obligation qui ne se discutait pas. Il semble étonné de me voir là. Manifestement les adolescents ne faisaient pas partie de sa clientèle. Il se contenta de proférer un « oui » qui était à la fois une question et une manifestation montrant le désagrément que lui causait ma présence. Je proférais un timide « bonjour monsieur » qui n’eut d’autre réponse qu’un autre « oui » mais un peu plus interrogatif. J’osai « je cherche un livre » affirmation qui dessina sur son visage ce que je pris pour un sourire et un laconique « oui ». Il fallait en sortir. J’osai « je cherche un livre sur l’histoire de Mende ». Le muet ne dit rien mais s’enfonça dans son labyrinthe. Je le suivis. Je me sentais comme une vierge offerte au Minotaure.

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