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Écrits de Marc Hodges
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26 mars 2015

une pause du présent

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Elle demeure calme — elle est toute en surface — il y a si peu de clarté — sa mémoire est essentiellement multiple... Le temps est immobile... La jeune femme inconnue porte un bouquet de fleurs... Dans son souvenir, cette journée est pure de toute incertitude — ses souvenirs ont en commun le même mystère; Robur rêve toujours :  Robur est pilote d'avion de chasse, survole la foule en vrombissant — il ne se souvient que de peu de choses... Passé et présent lui composent une séquence unique... Vivre ou se souvenir, Robur n'a jamais tranché ce dilemme; un enfant sourit. Tout cela passe en un éclair... Le monde paraît tranquille, comme dans une pause du présent. Il y a si longtemps de cela, les événements se noient dans la distance... C'est comme une sombre et puissant respiration, à la fois proche et lointaine et paisible... La mer roule ses appréhensions...

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Elle doit revoir un médaillon; il lui faut évacuer un livre ouvert à la page 121; Soeur Anne se dit ça — elle doit observer la plaquette de pillules sortie de sa boîte; "Il faut que je questionne le dossier rouge occupé de vieilles coupures de journaux". "Il le faut"... Soeur Anne doit ramasser le chaton au miaulement affamé ; "Je touche l'agenda glissé sous le lit" et elle ne peut faire autrement et "J'ai à classer les repères de réel"... "Il le faut" et "Il faut que je range le dossier rouge plein de vieilles coupures de journaux"; elle ne peut faire autrement; elle s'oblige à ça et Soeur Anne adore ça et elle s'oblige à ça; Soeur Anne se dit ça — "Il faut que je sente le chapeau qui traîne sur la chaise" — elle adore ça... Il lui faut prendre les vestiges de réalité et "Il faut que je cherche le vieux bouquet de fleurs d'oranger fanées" et…

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Elle époussette époussette le pantalon de Barbe Bleue jeté dans un coin... Soeur Anne ramasse le téléphone... La carte dépliée... Elle époussette la chambre obscure, elle époussette ça... Elle range la porte verrouillée depuis six jours... Soeur Anne époussette le lit vide... Le vase où un bouquet de lilas finit de faner — elle essuie essuie l'odeur de Violante, Soeur Anne essuie ça. Soeur Anne nettoie nettoie le petit bouquet de fleurs fanées, Soeur Anne range le couloir d’où rien ne chasse l'ombre... Soeur Anne nettoie le quotidien jeté dans un coin, Soeur Anne nettoie ça... Elle ramasse le vase où un bouquet de fleurs finit de faner, le verre plein d'eau... Soeur Anne fait tout briller tout briller... Soeur Anne ramasse le fauteuil où Barbe Bleue n'est plus, l'étagère où trois livres s'empoussièrent, le bloc de feuilles jaunes sur lequel a été griffoné le nom Violaine — elle range les verres qui portent des traces de vin — Soeur Anne nettoie, nettoie des lettres ouvertes refermées réouvertes froissées refermées comme les placards. Soeur Anne essuie l'enveloppe, Soeur Anne essuie ça, elle essuie tout.

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Elle époussette époussette le livre ouvert posé sur le bras du fauteuil — elle essuie essuie le verre plein d'eau; le verre plein d'eau. Elle fait tout briller tout briller; Soeur Anne range la plaquette de pillules sortie de sa boîte — elle ramasse la revue jetée dans un coin et le petit bouquet de marguerites, elle ferme la porte ouverte depuis six jours... Elle essuie, essuie la feuille de papier où Barbe Bleue n'a rien écrit. Elle éteint la télévision... La fenêtre que personne n'a plus la mémoire de sa transparence et elle essuie le bureau sur lequel s'entassent des photos de jeunes femmes, elle essuie ça et Soeur Anne fait tout briller... Soeur Anne essuie essuie le mot anonyme posé près du téléphone, elle époussette la lumière éteinte, elle nettoie nettoie la montre gousset en or... Elle époussette époussette le pantalon raffiné qui dépasse de l'ouverture de l'armoire; elle époussette la bague; une grande solitude l’oppresse — maintenant Barbe Bleue doit payer... 

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