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Écrits de Marc Hodges
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7 octobre 2015

Une invitation

Le succès vint mais, comme toujours il fut paradoxal et inattendu. Au bout d’une quinzaine de jours, comme je ne cessais de passer dans sa boutique, Raymond Lachance me dit avoir vendu 21 exemplaires et que c’était inattendu. Je le soupçonne aujourd’hui, d’en avoir « acheté » lui-même un certain nombre d’exemplaires pour me faire plaisir et m’encourager. Il est vrai que je les vendais à un prix dérisoire : celui du coût approximatif de revient car je n’avais alors aucune idée de ce que pouvait être le commerce du livre et mon ami bouquiniste ne m’ayant demandé aucune rétribution sur ses mises en vente qu’il considérait comme un signe d’amitié. Il faut en effet toute une vie pour comprendre ce que l’on apprend lentement et, en tout cela, je n’étais qu’un débutant naïf car il ne faut pas aller trop vite, se contenter de mesurer le monde aux possibilités de ses pas. Mais je n’avais pas encore dix sept ans et mon expérience de la vie était toute de littérature. Lorsque, aujourd’hui, je regarde tout cela c’est avec un sourire amèrement ironique car, contrairement à Rimbaud, j’étais trop sérieux pour mes dix sept ans. J’ai en effet, beaucoup trop longtemps, cru qu’écrire était mon aspiration la plus profonde, que je me réalisais dans la mastication des mots et les combinatoires des phrases, trouver — comme Flaubert dans son gueuloir — l’équilibre le plus harmonieux des sons et des rythmes, dire, à ma façon, ce qui me semblait si particulier dans les événements du monde, imaginer des situations, des personnages, des moments particuliers, bref vivre dans un monde virtuel qui me protégeait du monde et des autres. Qui m’isolait aussi, et, si peu à peu, les besoins de mon corps se sont faits de plus en plus pressants m’amenant à relativiser mon besoin d’écriture. Écrire pour vivre ne me suffisait plus il me fallait vivre pour écrire. En cet automne 1938, je n’en étais pas encore là aussi, la moindre attention portée à un quelconque de mes écrits me semblait une confirmation de mon destin. L’entrefilet de quatre lignes paru dans le modeste journal local annonçant mes recueils ne pouvait être qu’un signe d’encouragement et non celui de la nécessité pour le journaliste de trouver, entre l’annonce de deux naissances, d’un décès, de la nomination de X ou Y à un poste quelconque, de la sortie des premiers cèpes et des résultats plus ou moins glorieux de l’équipe de foot amateur locale, de trouver quelque chose à écrire pour remplir ses colonnes quotidiennes dans une ville où, jamais, il ne se passait rien.

Il est vrai cependant que j’ai eu quelques lecteurs car, par l’intermédiaire de mon ami bouquiniste, je reçus une curieuse invitation. J’ignorais totalement qu’il y ait dans cette petite ville un cercle « des Amateurs de Littérature » et que celui-ci tenait chaque vendredi soir une assemblée où les membres présentaient soit leurs écrits en cours soient des lectures qu’ils avaient particulièrement appréciées. Mende était une ville à la fois transparente où chacun, d’une certaine façon connaissait chacun, mais également une ville secrète où des cercles impénétrables constituaient des réseaux particuliers ouverts seulement aux initiés. Entre l’Archiconfrérie du Sacré Cœur,  la Confrérie des Pénitents Blancs, le Cercle du Rotary Club, celle de l’Escargot Lozériens, celle des vins de la vallée du Tarn, toute le société était ainsi souterrainement structurées en groupes dont l’influence allait parfois bien au-delà des buts affirmés. C’est ainsi que le Cercle des Amateurs de Littérature, avec à sa tête la baronne Pinon de Chirac du Buisson était presque totalement constituée de membres de l’ancienne noblesse qui vivaient entre eux dans une fiction sociale particulière. J’étais « convié » à participer à leur réunion du vendredi 9 septembre, à 15 heures.

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