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Écrits de Marc Hodges
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8 juin 2014

Vous êtes formidable

« From: "Elisabeth Mullerrias" <elisamu@fr.bull.org>
To: "Jean-Pierre BALPE" <jbalpe@away.fr>
Subject: Re: Mail-roman "Rien n'est sans dire", courrier N° 83
Date: Tue, 3 Jul 2001 09:13:01 +0200
X-Priority: 3
 
COURAGE! Vous êtes formidable! On ne s'en sort plus dans cette jungle de dits et contredits, d'infos ou d'intox ? C'est bien ce qui fait votre originalité. Courage, continuez ! Confiance en qui, en quoi? Avancez, nous verrons bien. Je vous lis tous les jours, pourtant je ne manque ni de lectures, ni de courriels.
 
« Était-ce une folie? Suis-je romanesque? Vous en jugerez. » Léopardi, cité en exergue in Fado ( avec flocons et fantômes ) de J.C. Pinson
A toute à l'heure de vous lire! »
 
Comme quelques uns d’entre vous, je ne cesse plus de penser à cette histoire, elle m’obsède et chasse de mon esprit toute autre préoccupation ; je n’arrive même plus à travailler correctement : il m’est revenu aujourd’hui, alors que je me traversais à pied les jardins du Palais Royal, un fragment de la première conversation que j’ai eu avec Stanislas à Berlin. Je me suis soudain souvenu, non de la teneur exacte de ses paroles, mais de leur tonalité enfiévrée, bousculée par l’urgence, comme s’il profitait de ma présence pour se délivrer d’un poids porté trop longtemps seul. Un aveu : Stanislas avait besoin de dire ce qui l’obsédait, ce qui, alors, m’apparut davantage comme les spéculations d’un esprit dérangé que comme des vérités philosophiques. Il fixait obstinément son verre de bière tenu entre ses deux mains serrées comme s’il avait besoin de se raccrocher à quelque chose d’incontestable, son regard était tout intérieur, il ne me voyait pas et je sentais que ce qu’il disait s’adressait autant à lui-même qu’à moi mais que, pour autant, il avait un besoin violent que tout cela fut dit. Puissance des mots qui tus étouffent mais qui, exprimés, font souffrir. Stanislas parlait de sa famille : « traître ou héros ne sont que des mots, ainsi mes parents,  suivant le camp dans lequel on se place sont à la fois l’un et l’autre ; j’ai peur, si je creusais un peu leur vie que ma mère n’ait été, à un moment donné, pour mon père, une ennemie et même une traître… Qui sait à quelles fins j’ai été conçu, qui sait si leur séparation ultérieure ne venait pas des sens différents qu’ils accordaient aux mêmes mots ? A un certain moment de l’histoire, mon grand-père n’aurait pas hésité à faire fusiller mon père et je crains bien que ce comportement n’ait été réciproque. Il y a une violence de l’histoire dans lequel nous sommes pris comme mouches emportées par les flots d’une rivière. Tu es celui que tu es, je suis celui que je suis… Et nous n’y pouvons rien. Ça va, ça vient, un jour décoré, le lendemain banni… Qui sait de quoi nos demains seront faits… Perdu, gagné, victime, bourreau, héros national, crapule… que de fois les situations se renversent ou se confondent ; tel est abattu par un héros qui le lendemain se retrouve héros assassiné par une crapule… Religions, philosophie, histoire, politique… tout tourne dans l’ouragan aux trajectoires imprévisibles de la langue… Je t’aime me dit Zita et le lendemain elle me trahit : comment résister à la violence de certaines paroles, comment ne pas croire à ce qui est dit avec suffisamment de force… Je vis parce que je dis que je vis et je meurs dès que je cesse de le dire… Tu es mon ami parce que je dis que je suis ton ami, le serais-tu encore si je te disais que je te déteste ?… Pense aussi à la poésie, à ce puissant pouvoir qu’elle a de créer des mondes plus vrais que ceux que le pragmatisme propose ! Rêves de jeunes filles et de militaires confondus dans leur certitude que les fictions sont vraies : Prosper Proszinski, Bérenger Bissonnier et tant d’autres dont nous ne connaîtrons jamais l’échec des rêves… »
Je n’écoutais pas vraiment, je me souviens même que j’essayai alors de penser à la conférence que j’allais faire dès que nous nous quitterions ; pourtant n’aurais-je pas dû être plus attentif à ses dires ?…

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