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Écrits de Marc Hodges
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25 mai 2013

effroi de l'incendie

Essayant de me rappeler mon était d’esprit dans l’été 1932, je me souviens d’un incendie de forêt qui s’était développé aux portes de notre village quelques années auparavant. Sur ces hauts plateaux de Lozère couverts de résineux et où, si les hivers étaient très froids, les étés pouvaient être aussi très chauds, de tels incendies n’étaient pas rares : mégot d’un fumeur imprudent, feu de pique-nique ou écobuage mal contrôlés, jeux d’enfants trop téméraires et fascinés par le feu, litiges entre paysans, incendiaires… Il n’y avait pratiquement pas un seul été sans que l’on entende parler d’un morceau de forêt qui, ici ou là, avait été détruit par le feu. La plupart du temps ceux-ci étaient plus ou moins lointains et ne nous parvenaient que par des récits plus ou moins fidèles ou par la lecture de « La Croix de la Lozère » ou de « La semaine religieuse », hebdomadaires que l’on trouvait alors dans toutes les paroisses. Mais celui qui n’est jamais sorti de ma mémoire — parce que j’en fus en grande partie responsable — se déroula à la lisière du village.
Au début des vacances, j’avais emprunté à l’école une des loupes dont mon père se servait lors de certaines de ses « leçons de choses » et avec un groupe de camarade nous avions décidé de « faire des expériences ». Pour ne pas être vus, nous nous étions éloignés du village et réfugiés, au bord de la forêt, derrière quelques buissons d’églantines. Je dis à mes camarades qu’on pouvait, avec la loupe, allumer du feu. Ils dirent qu’ils ne me croyaient pas et je décidais de leur en donner la preuve : je fis un petit tas de brindilles et d’épines de pin et les exposais à la lumière concentrée de la loupe. Le soleil était haut dans le ciel, malgré une légère brise, il faisait très chaud. Au grand émerveillement des petits paysans, le feu ne tarda pas à prendre et, ayant prouvé mon intelligence et ma supériorité, j’en tirai une grande satisfaction. Nous avons regardé le petit tas brûler. Puis, par jeu, chacun de nous s’est mis à l’entretenir jusqu’à l’obtention d’une belle flamme. Quand nous nous sommes aperçus qu’une branche basse de pin s’enflammait, il était trop tard. Affolés, nous avons essayé de l’éteindre à coup de bâtons, en jetant de la terre, mais, à toute vitesse, les flammes couraient de branche en branche. Nous avons fui, couru vers le village, crié « au feu, au feu ». Très vite des paysans, prenant des fléaux, des fourches, des pelles se sont rassemblés : il était trop tard, sous l’effet de la brise et de la sécheresse, la forêt était devenue un mur de flamme qui, à la fois, m’hypnotisait et m’effrayait.
C’est cette sensation que j’éprouvais à nouveau en pensant à mon entrée au collège. Cette entrée, je la devais à ma réussite à l’examen, j’étais responsable, totalement de cette réussite et j’avais fait tout ce qui était en mon pouvoir pour obtenir ce résultat. Pourtant, à ce moment-là, pendant les deux mois de vacances qui précédaient, j’étais affolé, angoissé,  horrifié,  terrifié même par l’ignorance de ce qui m’attendait. S’accroissant de jour en jour, le mur de flammes, figurait pour moi l’échéance à venir et j’ignorais tout de ce qui m’attendait. Il y avait devant moi ce mur de flamme, et je devrais m’y plonger, le traverser pour découvrir ce qu’il y avait derrière, ce monde inconnu dont je ne savais rien, qui pouvait être brûlant, destructeur, un monde de braises, un monde de cendres, de vie brûlée, de rêves calcinés ou un monde dont la terre allait s’avérer plus fertile après l’épreuve où —ce que disait mon père contredit pas les inquiétudes de ma mère — j’allais grandir, m’éveiller à une autre vie, devenir une plante adulte, ce que lui appelait « un homme ». Mais j’avais aussi peur de devenir cet homme qu’il prophétisait.

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