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Écrits de Marc Hodges
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26 mai 2013

la beauté

Je ne sais plus pour quelle raison précise, quel sujet de discussion, quelle anecdote… Je ne sais plus pourquoi, hier, alors que je discutais avec un ami d’enfance — peut-être parce que nous avons évoqué des souvenirs, parlé de nos années d’école commune, d’anciennes amitiés, bref de tout ce qui peut, dans leur quête de la mémoire deux anciennes amitiés — je suis allé chercher une des boîtes de chaussures où sont vaguement rassemblées des photographies que je m’entête à conserver bien que je n’ignore pas qu’à ma mort, elles seront jetées à la poubelle. Mais la sentimentalité est un étrange instinct qui, au-delà de toute raison, nous force à conserver de nombreux objets dérisoires. Nous avons certainement besoin de nous rassurer ainsi sur la possibilité d’une permanence des choses : tant qu’ils sont là, nous ne mourons pas et notre vie a conservé un certain sens… Bref, j’avais sorti de mon grenier une de mes boîtes à souvenir, celle-ci contenant des photos de mon adolescence.
Jean-Louis — appelons cet ami Jean-Louis — semblait particulièrement intéressé qui les examinait une à une avec soin : « Ça je crois que c’était en cinquième, tu te souviens ? C’était une sortie avec la professeur d’histoire, comment s’appelait-elle déjà ? » « Madame Lalumière… » « Oui, tu as raison, Madame Lalumière, on se moquait beaucoup d’elle car on la trouvait plutôt obscure… » « C’était une source de plaisanteries en effet… » « Et là ? », il venait de prendre une autre photo dans la boîte « on dirait que c’est toi… » « Oui, c’est moi, je devais avoir dix-sept ou dix-huit ans, tu étais déjà parti à Paris et moi à Bordeaux… » « C’est vrai… Tu étais vachement beau, tu devais être un vrai tombeur… » Quelques mots anodins, mais son étonnement m’a frappé comme une balle : sur une plage, au soleil, torse nu, j’étais beau en effet quand j’avais dix-huit ans : élancé, cheveux bruns, regard profond, traits harmonieux ; j’étais beau.
J’étais beau…
Quand Jean-Louis est parti, je n’ai pu m’empêcher d’aller me regarder dans un miroir : quelle décrépitude… Ma silhouette s’est progressivement alourdie et, bien que j’essaie de ne pas trop grossir, mes abdominaux ressemblent davantage à une bouée de sauvetage qu’à un quadrillage de muscle… Plus guère de différence entre mon tour de taille et la largeur de mes épaules. Et mon visage ! Mes cheveux devenus rares, dévoilant sur le sommet du crâne une tonsure qui n’a rien d’ecclésiastique, sont maintenant d’un blanc pas assez argentés pour présenter quelque attrait, mon visage est couturé de rides ; mon nez devenu rouge comme le cul d’un vieux singe semble avoir doublé de volume déséquilibrant l’harmonie des traits ; des poils sortent de mes oreilles ; ma bouche aux commissures tombantes est devenue amère ; ma peau est gangrenée d’irrégulières taches brunâtres… Comment lier ce visage à celui du Ganymède de la photographie ? Je me dis alors qu’il faudrait avoir le courage de se détruire avant qu’il soit trop tard. Mais quand est-il trop tard ? Aujourd’hui en tout cas, il est trop tard pour que ce geste ait la signification qu’il aurait pu alors avoir.

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