un visage bienveillant

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Diffusé en permanence sur des écrans géants placés à tous les carrefours, que ce soit en ville ou à la campagne, le Visage noble et silencieux de la Reine faisait, depuis toujours, partie de tous les paysages. Très légèrement oblong, front haut, encadré d’une courte chevelure noire soigneusement lissée dégageant de petites oreilles aux formes parfaites dont les lobes s’ornaient de deux perles noires, pommettes hautes lumineuses et rosées, la couleur myosotis de ses yeux malicieux légèrement en amandes surmontés de sourcils dessinant deux collines où s’ouvrait la vallée d’où naissait le ressaut d’un nez plutôt petit, la perfection de sa bouche fine aux lèvres gourmandes, tous ces traits, comme l’air qu’ils respiraient ou la chaleur du soleil dans un ciel généralement d’acier bleu, appartenait à l’environnement quotidien des sujets du Royaume et chacun, dès sa naissance, apprenait à le consulter à tout moment du jour.

En effet, les mouvements, même imperceptibles du Visage de leur Reine permettaient d’anticiper les événements. Ainsi s’ils détectaient un très léger froncement de sourcil, ils savaient qu’à ce moment-là, leur Reine était légèrement soucieuse et que donc, quelque petit fait néfaste — un accident, un incendie, la mort d’un animal de compagnie — ne pouvait manquer, à cet instant là, de se produire quelque part dans le Royaume ; si, au contraire, ils percevaient un très léger sourire Jocondien, ils n’ignoraient pas que quelque fait positif — un petit gain au loto, la récupération d’un objet perdu, la réception d’une lettre d’amour — allait toucher l’un ou l’autre d’entre eux. Rien ne se produit tout à fait au hasard dans l’univers et les relations entre les actes sont infinies pour qui sait les lire, le Visage de la Reine était leur baromètre aussi, chaque fois que — en voiture, à pied, à bicyclette ou en bus — ils passaient devant un des innombrables écrans géants qui le diffusaient, ne manquaient-ils pas d’y poser leur regard. Même si les sujets qui auraient pu avoir à rencontrer leur Reine semblaient être en très petit nombre, même si le protocole lui interdisait de participer à des événements publics, son Visage faisait partie de la vie quotidienne des habitants qui, accordant une confiance absolue dans ses expressions, fondaient sur son examen quotidien leur cohésion tranquille. La Reine, à travers son Visage, était ainsi la garante absolue du Royaume et manifestait par le regard qu’elle portait sans cesse à ses sujets sa bienveillance mais, à la fois, son autorité incontestée.