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Écrits de Marc Hodges
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18 octobre 2012

Cartes postales

À défaut de pouvoir recourir à une mémoire trop trouée, comme avec ces quelques photos que j’ai décrite précédemment, je corrige ses faiblesses grâce à la manie de mon père de ne rien jeter. C’était un instituteur persuadé que tout pouvait, un jour, lui servir pour éveiller l’esprit de ses élèves, un archiviste dans l’âme. Le moindre bout de papier, pourvu qu’il porte un signe le rattachant à un moment de nos vie, à une amitié, à un lieu visité, lui semblait digne d’être conservé. Ce n’était pas un collectionneur, il n’aurait jamais gardé des timbres parce que c’étaient des timbres, encore moins parce qu’ils pouvaient avoir un jour quelque valeur; lorsqu’il gardait des timbres c’était parce qu’ils représentaient des paysages, des monuments, des hommes célèbres, un animal lointain, curieux, ou figuraient sur une enveloppe dont l’adresse était de la main d’un ami ou d’un membre de la famille et parce que, le plus souvent, ils portaient une date. Tous les objets du monde jouaient ainsi dans son théâtre de mémoire, constituaient des lieux de mémoire où il puisait pour acquérir et transmettre le savoir.
Que resterait-il de nous en effet sans ces traces que nous semons sur notre passage ? Ainsi des cartes postales. J’ai hérité de milliers d’entre elles, avec ou sans leurs enveloppes, des pays les plus divers avec tous types de représentations depuis des soldats à bicyclettes en 1917 jusqu’à des amoureux dans un cœur floral en passant par des centaines de paysages. Lorsque je désire, comme en écrivant ces notes, revisiter notre passé, il me suffit de prendre au hasard quelques unes d’entre elles. Si certaines ne m’évoquent rien, soit qu’elles datent d’avant ma naissance, soit qu’elles sont sans signature ou signées de noms qui ne me parlent pas; d’autres ravivent des moments oubliés; d’autres encore sont autant de mystères, de trames de romans à déchiffrer; toutes contribuent à reconstruire l’univers qui fut le mien dans les premières années de ma vie.
Bamberg, dit une de ces cartes, datée du 30 octobre 1925. Au recto, couleur sépia, une image sans grand intérêt, une prise de vue banale, presque laide, une église (une cathédrale d’après wikipédia) à quatre clochers pointus dominant les longs toits de maison. Au verso, l’indication qui m’a permis de connaître le lieu  «Bamberg, Dom-Südseite" mais surtout, d’une écriture à l’encre noire, qui a un peu jauni, mais ronde, ample, chaleureuse: «Chère Marguerite, cher Lucien, bonjour, comment allez-vous tous ? Dieu merci nous sommes tous ensemble, Bamberg est très gentille et pour le travail et pour le repos. Notre appartement se trouve juste en face de «notre» Dom. Ici il fait beau. Je travaille beaucoup, me le temps passe vite. Je m’inquiet de notre futur. On verra… Au revoir». Signature: Martha, Sollweg.
Je ne connais rien de cette Martha ni de cette Sollweg mais leurs deux prénoms, le lieu d’où elles écrivent ouvrent l’esprit à une intrigue: comment mes parents, si casaniers, pouvaient-ils, très peu de temps après la guerre qui les avaient durement frappés, avoir des relations amicales avec deux femmes aux prénoms allemands? Je ne le saurais jamais…

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