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Écrits de Marc Hodges
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14 février 2012

Un saint combat

Ils attendent, attentifs aux bruits qui, un peu plus loin, comme de grandes vagues, s’amplifient puis retombent. Alcathe vit une étrange sensation d’absence, ne sent concerné ni par ses actes ni par ses paroles, est agi par un lui-même qui lui échappe.

- Mets ton masque… On y va ! dit Nicostrate.

Ils traversent en courant la rue de Turbigo: des vitraux crevés de Saint-Nicolas-des-Champs s’échappent des cris et des lueurs tremblantes. Nicostrate désigne à Alcathe un vitrail, s’arrête sous un autre, dégoupille une grenade, la jette à travers l’ouverture, puis se déplace au vitrail suivant. Alcathe fait de même. Ils jettent ainsi, à travers les ouvertures, toutes leurs grenades. Une avalanche d’explosions, fumées, cris, clameurs, aboiements, hurlements, vociférations de toutes sortes crèvent les murailles de la vieille église. Alcathe et Nicostrate courent dans la rue Cunin Gridaine jusqu’au portail depuis longtemps délabré. Déjà des êtres sexuellement indistincts vêtus d’oripeaux multicolores, visages peints, coiffures baroques de couleurs vives, oreilles, nez, lèvres percés de multiples anneaux, s’en échappent. Ils semblent suffoquer, cherchent l’air, toussent, pleurent. Dans leur précipitation, quelques uns glissent, s’étalent dans la neige. Rejoints par d’autres de leurs frères venant du côté opposé de la rue, Alcathe et Nicostrate les fouettent sauvagement, accentuant la débandade. Un molosse, cou enserré dans un collier clouté, s’échappe de l’église, fuit par la rue Saint-Martin; un dogue menaçant Nicostrate est mis en déroute par des coups de fouet ; un individu, visage marqué de croix rouges, moulé dans un vêtement luminescent, traîné par un énorme chien danois, s’enfuit. Dans un état second, dépassé par sa violence, Alcathe fouette à tour de bras, tape au hasard sur tout fuyard à sa portée, zèbre des visages, des bras; hurle, injurie, s’enivre de violence… Bientôt le flot de fuyards se tarit… Nicostrate se précipite dans l’église; Alcathe le suit.

L’église abandonnée est vide. Une fumée lourde traîne sur le sol, dissimule plus ou moins des quantités d’immondices. Au centre, à la place du chœur sur un cercle de sable jeté sur le plancher en chevrons, un pitbull finit d’agoniser dans une mare de sang ; attaché à un pilier par une chaîne, un chien-loup, couché sur son flanc, haletant, suffoque.

- Démons, salauds ! s’indigne Nicostrate. Amène-toi, on va tout fouiller.

Une à une, ils examinent les trente-deux chapelles où gisent des fragments de statues, de toiles déchirées, de cadres dorés, des morceaux de vitraux de couleurs diverses, d’ex-voto de marbre où s’effacent des traces de lettres dorées : “À saint-Vinc…”, “Remerciements à Saint…”, “À Saint-Roch pour le…”. Dans la vingt-troisième, couché sur une toile où l’on devine encore Saint-Vincent de Paul relevant un mendiant, un homme d’une quarantaine d’années, engoncé dans plusieurs couches de loques, visage violacé, boursouflé, bouche et yeux grand ouverts. Autour de lui, un amoncellement de bouteilles vides, de caisses de carton, de rebuts de marchandises. Nicostrate s’approche.

- Il est mort… c’est pas une grande perte. Il devait dormir. Ou alors il était saoul. En tout cas, il a sûrement respiré trop de lacrymogène. À ras de sol, il pouvait plus respirer. Ça n’a pas grande importance, un de plus un de moins.

Après avoir fouillé tous les recoins de l’église, tous les jeunes hommes venus de l’hôtel Saint-Aignan se regroupent devant le portail principal.

- Nous avons donné une bonne leçon à ces démons, déclare celui qui dirigeait l’expédition punitive; ils hésiteront avant de revenir sur nos terres. Maintenant, il ne faut pas traîner ici. Ramassez le plus possible de fragments de grenades, faites attention à ne laisser aucune trace. Dispersez-vous et regagnez la maison par des chemins différents; essayez de passer le plus inaperçu possible. À tout à l’heure !

- Le temps est avec Cronos qui triomphe toujours… Cronos rendra, bientôt, Ouranos infertile! s’esclaffe Nicostrate.

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