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Écrits de Marc Hodges
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24 décembre 2011

Lecture et compréhension

Lire, relire ? Mon rapport à la littérature se définit dans cet entre-deux: lorsque je lis un ouvrage que je n’ai jamais lu, j’éprouve toujours une impression ambiguë. Bien sûr, comme tout le monde — du moins je le pense mais comment être sûr en cette matière ?—, il y a — ou non…— le plaisir de la découverte (suspens, plaisir  de rencontrer une écriture lorsqu’il y en a une, approche d’un rapport original au monde, stimulation imaginaire…), ce que l’on désigne je crois par la découverte d’une voix originale ou, plus simplement, l’oubli un instant du moi dans la rencontre de ce que peut signifier être autre, la distraction… Lire pour ne pas mesurer le temps qui passe…

Mais, du fond de cette lecture sourd, chaque fois, une insatisfaction car je sais que je ne retiendrai rien de la plupart de ce que j’aurai lu: cette lecture, ce temps passé à lire, cette rencontre intellectuelle (car même dans les plus mauvais livres, il y a toujours un moment, un passage, qui me retient suffisamment pour que, m’arrêtant dans l’avancée de la lecture, je reste un temps comme suspendu à un prolongement imaginaire qui se traduit le plus souvent, lorsque je dispose d’un crayon ou d’un stylo, d’un trait tracé sous le passage ou, plus souvent, d’une annotation dans la marge), tout cela, bon ou mauvais, tout cela qui, à ce moment-là (car je sais bien par expérience que ce que j’ai souligné tel jour me paraîtra tel autre sans importance) lève un écho en moi; tout cela, dans la grande majorité des cas, disparaîtra de ma mémoire.

Je ne peux m’empêcher alors de me dire que ces temps sont morts, que tout ce temps passé à lire aura été jeté comme un déchet quelconque, broyé par la grande broyeuse du temps, que j’aurais mieux fait de faire autre chose. J’éprouve ainsi souvent la tentation de la relecture: vérifier si, en effet, tout cela est perdu ou si, de façon inconsciente, se sont en moi gravées des traces. Je prends un livre de ma bibliothèque, commence à le lire… Le plus souvent je n’y reconnais rien: je ne l’ai jamais lu. Et n’était l’évidence des annotations, des diverses formes de marques que, Petit Poucet, j’ai jeté çà et là, je jurerais faire une première lecture.

Rares, infiniment rares, sont les ouvrages qui, dès les premières lignes me semblent familiers. Rares, infiniment, mes annotations qui me paraissent pertinentes: tout ce temps s’est perdu. Accro au livre, je me promets alors d’arrêter de lire. Sans succès jusqu’alors…

Je n’ai jamais aimé les choses simples, comprendre immédiatement quelque chose me paraît toujours suspect et je suis persuadé que sous les simplicités apparentes se cachent des complexités inattendues.

Cette position offre quelques inconvénients: d’une part, il m’est difficile de prendre quelque décision que ce soit parce que j’ai toujours l’impression que je ne possède jamais toutes les données du problème envisagé et ceci quel que soit ce problème; d’autre part je passe une grande part de mon temps à réfléchir sur des situations — ou des personnes — qui ne le méritent pas. J’ai ainsi de grandes difficultés à me débarrasser des importuns car je leur fait toujours crédit d’intentions plus riches que celles qu’ils offrent au premier abord… Bref je suis incroyablement compréhensif ce qui ne manque pas de me poser bien des problèmes. Si je comprends ainsi toutes les déviations amoureuses de ceux qui m’entourent et pardonne toutes leurs trahisons, j’ai toujours été incapable de m’abandonner à l’amour car j’en percevais toujours les difficultés à venir et redoutais la simplicité apparente de ce sentiment guidé par le désir.

Mais cette attitude psychologique offre aussi quelques avantages. J’aime traiter les choses à fond, aller voir ce qui est au-dessous des apparences et ne me laisse pas facilement berner, que ce soit par un discours politique, un bonimanteur de foire ou un philosophe. Redoutable dans les discussions de salon, je pousse la discussion dans les retranchements les plus ultimes obligeant souvent mes contradicteurs à se révéler bien au-delà de ce qu’ils auraient imaginé devoir le faire. J’ai ainsi, tout au long de ma vie, affûté mon esprit critique et si je me suis quelquefois fait berner, c’est en partie parce que j’étais conscient de la tromperie qui m’était proposée et que, pour des raisons qui alors m’étaient propres, il me convenait de laisser croire que j’étais dupe alors qu’au fond des choses, c’est moi qui menait le jeu.

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