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Écrits de Marc Hodges
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23 septembre 2011

Sentiments

Vous savez encore peu de choses de Germaine — à moins que vous n’ayez lu cette petite tranche de sa vie que j’ai évoquée dans La disparition du Général Proust.

Pour que vous compreniez mieux ce qui va suivre, il faut donc que je vous la présente.

À l’époque du complot contre le Général Proust, Germaine, grande amie de Rachel, quelques années avant sa rencontre avec Balpe, avait une trentaine d’années — trente deux exactement me semble-t-il… Elle était alors la femme d’Argencourt, un ingénieur de marine devenu conseiller au Ministères de Armées et, n’ayant aucune formation particulière, venant d’une famille bourgeoise qui lui avait laissé de quoi vivre, elle n’avait alors d’autre occupation que de gérer la vie mondaine de son époux qui ne lui demandait rien d’autre et se comportait plus en confident qu’en mari.

Cette situation lui laissait beaucoup de temps libre. En fait, la plupart du temps, comme vous avez pu vous en rendre compte dans les extraits de son journal que j’ai publié ici, elle s’ennuyait. Aussi, après avoir été quelques temps la maîtresse de Ganançay, puis de Proust lui-même, elle était au moment de la tentative de meurtre, celle de Saint-Loup — avant sa disparition comme je vous l’ai rapporté dans Ganançay. Elle commençait à s’en lasser et aurait aimé séduire Norpois alors même que Palancy aurait aimé coucher avec elle… Une situation complexe donc quoique si banale dans le petit milieu mondain où chacun connaît chacun et, pour mettre un semblant de piment dans la relation, couche avec chacune.

Le complot, sa fin inattendue, changea évidemment tout cela.

Il m’a fallu attendre la page 45 de son manuscrit pour comprendre… Je vous épargnerai donc les quarante quatre précédentes — quoi qu’elles ne soient pas sans intérêt, du moins sur le plan littéraire — Je vous la donne dans son intégralité:

«J’aurais dû partir. Ce soir là. Sans jamais le revoir. Je craignais que l’amour ne soit pas partagé — autant dire qu’il en est toujours ainsi de l’amour, car il n’est pas d’amour partagé, ou du moins je n’en ai jamais rencontré. L’amour ne soit pas partagé. Mon amour non partagé. Goûter du bonheur seulement ce simulacre; Donné en un moment unique. Quand la bonté d’un homme — son caprice — le hasard — applique sur mes désirs — coïncidence parfaite — les mêmes paroles, les mêmes actions que s’il m’aimait vraiment. Duperie… Sagesse? La sagesse aurait été de considérer cela avec curiosité, posséder avec délice cette infime parcelle de bonheur sans laquelle je serais morte sans avoir soupçonné ce qu’il peut être pour des cœurs moins difficiles. Moins favorisés. Supposer que cet instant faisait partie d’un bonheur vaste, durable. N’apparaissant pas en ce point seulement. Que le lendemain n’apporte pas un démenti à cette feinte. Ne pas chercher. Ne pas demander une faveur de plus. Pas après celle-là. Après celle qui n’était due qu’à l’artifice d’une rencontre. Minute d’exception. J’aurais dû quitter Fontainebleau. M’enfermer dans la solitude. Rester en harmonie avec les dernières vibrations de sa voix. De ma voix que j’avais su rendre un instant amoureuse. Ne plus rien exiger. Ne plus chercher à s’adresser à lui. Peur d’une parole nouvelle, différente, blessante par cette différence. Blessure d’une dissonance. Rester dans un silence attentif. Conserver dans ce silence cette tonalité ténue du bonheur…»

Je pense que vous avez compris, Germaine venait de rencontrer Jean-Pierre Balpe.

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