Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Écrits de Marc Hodges
Écrits de Marc Hodges
Visiteurs
Depuis la création 98 751
Archives
28 mai 2015

Deux pages du journal de 1938

Dimanche 23 janvier 1938

Il a continué à neiger tout le jour. J’ai pris les vieilles raquettes de mon père et je suis parti marcher dans les près autour de la ville. Rester en famille à la maison est de plus en plus difficile, maman ne parle presque plus à personne, elle est de plus en plus mélancolique et papa, après avoir longtemps essayé de la distraire, de lui faire rencontrer des femmes de collègues, a abandonné. Il s’enferme de plus en plus dans le travail. J’ai beaucoup de mal à rester en famille. Les dimanche me sont de plus en plus pénibles et comme je m’ennuie au lycée, que, contrairement à Robert et Andrée, je n’ai pas de véritable ami, ne me restent plus que de longues marches solitaires qui me sont nécessaires pour respirer et les heures que je passe à écrire dans ma chambre. Je suis revenu transi de froid.

Lundi 7 février 1938

S’il ne me restait pas seulement un an et demi de lycée, cette vie me tuerait. Raymond, mon ami bouquiniste m’a fait découvrir un écrivain que je trouve génial : Raymond Roussel et je me suis amusé à écrire une nouvelle à sa façon que j’ai intitulée « Les Deux Mains du Pianiste » qui commence ainsi : « Suivant les indications du bristol d'invitation, les invités étaient venus en tenue de soirée: hommes en smoking noir ou blancs et noirs, chemises blanches; femmes en  longues robes noires. Le ciel lui-même était très noir mais la blancheur lumineuse de la pleine lune illuminait l'allée. Palancy, le maître de maison, nous avait reçus en plein air, non loin de sa villa, sous de vieux arbres puis, descendant de riches pelouses, nous avait fait suivre une allée rectiligne de sable clair en pente douce qui, devenant avant peu horizontale, s'élargissait tout à coup pour entourer ainsi qu'un fleuve une île, un bâtiment bas constitué d'immenses vitres que supportait une armature de fer noir… » Je me suis amusé à la traduire en latin : « Ut ostensum invitationem stirpe venisse hospites formalis habitu nigro in album vel nigrum tuxedo, albas; porro niger mulieres in stolis albis. Caelum die plenæ lunæ reversurus est caligo tenebrosa et illuminans candore arto. Palancy mansionem, sub habuimus, non longe a domo sua et sub arboribus descendit saltus dives valde clare arena clivo recta sequitur, mox fit horizontalis, relaxantis subito circumvenire insula et flumen, vita aedificium immanium plagarum fenestras factus quod nigra ferrum artus sustinet. » J’ai donné ma version française à ma prof de français qui n’a pas tari d’éloges me prouvant ainsi, ce dont je me doutais, qu’elle ne connaissait pas Raymond Roussel : la version latine a été pour le Père Joseph qui, se moquant de moi, m’a corrigé plusieurs expressions. C’était assez amusant…

Ces deux pages, je crois, donnent une idée assez juste de ma vie en classe de première. La nouvelle que je cite ici, a été publiée bien plus tard, sur des supports différents, par deux hétéronymes — dont l’un n’est autre que le nom du héros de ce court récit — sous lequel je me cachais alors, isolée puis dans un recueil de nouvelles intitulé « Histoires Ordinaires ».

Publicité
Commentaires
Publicité
Derniers commentaires
Publicité