Agapes et inquiétudes
Retrouvant leur assurance, les villageois ont
aussi retrouvé leur semi gaieté ; retrouvant leur apparente gaieté, ils
retrouvent leur appétit. Aussi, après le discours du garde-champêtre, les
auberges ne désemplissent pas, le cidre, frais ou bouché, coule à flot, l’andouillette
se découpe en rondelles, les crèpes frémissent sur les plaque chauffantes, les
œufs font des miroirs, l’anguille se laisse fumer… Tout fait ventre : c’est
incontestablement un grand jour, celui de l’assurance retrouvée, de la légitimation
de toutes les certitudes ancestrales. bientôt, il faut, à Gourin, envoyer d’urgence
un camion pour réapprovisionner cafés, auberges, crèperies et éviter ainsi que,
en cas de pénurie, l’excitation des classes bourgeoises et religieuses ne se
retourne contre les autorités légitimes.
À la fenêtre de bonne de l’hôtel du Roi Artus,
Wilfrid en proie à une inquiétude certaine, écoute monter l’amplitude des cris
haineux: «Mort au MRA, le MRA à l’échafaud, MRA d’égouts, aux culs
le MRA, les MRA aux chiottes, Fuck le MRA…» Il regarde toute cette
agitation inattendue. Il a préféré abandonner sa chambre et se réfugier dans
celle de la bonne qui, en plus d’une impression de sécurité relative, lui
offre, lorsqu’elle a quelque répit dans son travail, ses charmes plantureux.
Bonne qui, d’ailleurs, respectueuse des conseils d’Yvré, ne fait rien pour
rassurer son fébrile amant et même, bien au contraire, abuse du relâchement qui
suit toute copulation bien conduite pour lui peindre à grands traits naïfs mais
horribles et destructeurs, les dangers d’une trop grande proximité avec les
membres sonnus du dit MRA au risque, à tout moment de se faire mettre en prison
(l’ambiguïté de la formule effraie davantage encore le malheureux Wilfrid)…
Et dans quelle prison !