Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Écrits de Marc Hodges
Écrits de Marc Hodges
Visiteurs
Depuis la création 98 755
Archives
19 août 2013

rencontre sur un banc

Ce n’est pas parce que toute vie à une fin qu’elle obéit à une finalité. Wilfrid se laisse porter par les vents contraires. Il va, revient, va, tourne, revient. Sa vie n’a aucune unité. Entre être et faire, Wilfrid n’a jamais hésité. Tout comportement en lui est imprévisible qui ne dépend que du désir de l’instant. Il ne veut rien maîtriser, se laisse porter par ce qui se produit autour de lui. Il est à la fois libre et contraint, indépendant et dépendant. C’est un homme. Il va de moments en moments sans jamais s’occuper de ce qu’il y avait avant et de ce qui pourra se produire après.

Il s’éveille, traîne plus ou moins dans sa couette, se lève, mange ce qu’il trouve : une banane, trois abricots, quelques biscuits. Sort, traverse le camping, sort du camping, va où ses pas le portent. Il a, sans intention particulière, suivi les fesses rebondies d’une femme voilée, puis une gamine, puis… se retrouve sur un banc dans un square où il s’est assis  à côté d’un jeune-vieux, catogan jaunâtre, moustaches teintées de nicotine, tatouages approximatifs de tolards brûlés de soleil, jean sale et troué, débardeur verdâtre censé mettre en valeur ce qui aurait dû être des muscles. Un conquérant usé et avachi. De ces gens râpés par la vie et trempés dans la misère comme Wilfrid les aime. Il aurait pu être comme lui, il est comme lui, en version molle et ventre proéminent mis en valeur par le manque de bouton de sa chemisette qui a dû avoir des couleurs hawaïennes. Il s’est assis là parce qu’il avait envie de lui parler. Il lui parle : « Salut » « Salut… silence, blanc… je te connais » « Chais pas, crois pas… Je m’appelle Wilfrid, et toi ? » « Karl, je m’appelle Karl » « Tu es allemand » « Non… chuis pas allemand… chais pas pourquoi je m’appelle Karl, on m’a toujours appelé comme ça. Et toi ? Wilfrid ? C’est aussi un peu germain… » « Ouais, paraît que mon père aimait Wagner. » « Qui ça ? » « Wagner… » « Connais pas… » Wilfrid n’insiste pas, c’est pas le moment de risquer interrompre un dialogue si bien commencé et puis, lui non plus ne connaît pas vraiment Wagner, un musicien qui aurait écrit des trucs sur Wilfrid, il n’en sait pas plus, ça lui suffit, la musique des bourges n’est pas son truc. Vent dans les feuillages des platanes au-dessus de leur tête, jeu de la lumière et des ombres mouvantes. Un temps d’attente, ils ne se regardent pas, chacun semble enfermé dans sa tête, méditation sur le vide. On peut pas en rester là. Wilfrid reprend : « T’es là depuis longtemps ? » Silence. L’autre lève la tête vers le ciel, semble regarder le soleil dans les branches « Chais pas, dix, quinze minutes… » « Non je veux dire… pas là, pas sur ce banc, je veux dire dans la ville » Le Karl s’étire, appuie son dos au dossier du banc, allonge ses jambes, tire ses bras en arrière mettant en valeur son ventre plat, soupire comme s’il se demandait ce qu’il allait faire puis lâche : « Qu’est-ce ça peut te foutre ? » Wilfrid qui sent que l’animal est écorché, qu’il va falloir être prudent, mais il en a vu d’autres : « Moi ça fait quatre cinq ans, chais plus vraiment, avant j’ai traîné mes guêtres un peu partout, Angleterre, Allemagne, Espagne, Bretagne, Suisse… J’ai pas mal bourlingué et toi ? » « Je fais la route… »

Publicité
Commentaires
Publicité
Derniers commentaires
Publicité