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Écrits de Marc Hodges
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15 septembre 2010

Joseph

Joseph ne vit que par le réseau. Le réseau le fait vivre. Par son intermédiaire il gagne l’argent dont il a besoin, un peu pour lui-même mais surtout pour le village qu’il entretient en grande partie et où il forme un ou deux jeunes gens capables de prendre le relais. Mais — ce n’est pas parce que quelqu’un a la bouche fermée qu’on ne peut pas imaginer qu’il a une dent en or…— le réseau le fait vivre surtout, parce que c’est le lieu où, bien mieux que dans un livre dont la clôture interdit la continuité, il déploie dans le temps cette vie imaginaire que tant d’autres considèrent comme vraie. Sur le réseau, sa famille vit et dure… Rien ne lui interdit d’y faire naître un nouveau membre, d’ajouter un nouveau venu, d’y célébrer des mariages ou des enterrements. Qui peut vérifier ? Qui se soucie de vérifier ? Tout être est une île déserte dont la communauté ne perçoit que les abords.

Joseph quitte son fauteuil de rotin, se sert un nouveau verre de whisky, fait quelques pas sur sa terrasse, caresse quelques uns de ses chiens, regarde son mainate perché dans les branches de la treille. Sous les piliers qui soutiennent la maison, les petits cochons noirs se battent dans la terre grasse. Joseph ne se demande plus pourquoi il est là, se contente d’y être, d’y vivre. Comment il y est arrivé est encore une autre histoire, son histoire… ancienne. Celle dont il ne tient pas du tout à se souvenir, que tous ses actes tendent à reléguer dans les oubliettes de sa mémoire. Le goût rond de tourbe brûlée du Lagavullin, plein en bouche, légèrement âcre et chaud, fortement végétal et terreux, lui donne un plaisir intense. Il ferme les yeux pour, un instant, n’être que ce pur plaisir… Rien d’autre… Le passé… Le passé n’existe pas. Il voudrait n’être que présent; par le seul pouvoir de l’imaginaire, refaire ce monde qu’il exècre. Seul le réseau permet le minimum de vraisemblance indispensable à son imaginaire pour assurer sa survie.

Sous ses pieds, dans l’espèce de cuisine installée entre les piliers qui protègent la maison des rats, il entend quelqu’un, une paysanne certainement, qui s’active à cuire du riz… De la forêt monte une myriade de cris animaux; du fond de la vallée provient le froissement soyeux de la rivière. Le temps est immobile, rien jamais ne s’y est passé, rien jamais ne s’y passera ; tout jour égale tout autre jour. Depuis combien de temps n’a-t-il pas quitté sa maison autrement qu’en pensées ? Pourquoi devrait-il la quitter, vers quoi ?

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