Préparations d'un départ
C’était un homme d’organisation qui avait mené sa vie
avec soin, fait de longues études, dirigé des laboratoires : un homme
d’ordre, de conviction et de devoir. Il avait un agenda électronique, plusieurs
secrétaires, une discipline de travail, des rendez-vous qu’il respectait, des
échéances et des engagements qu’il tenait, des heures fixes de travail et des
habitudes de vacances. Tout dans sa vie était à la place qu’il avait jugé
nécessaire de lui assigner et s’il lui arrivait d’introduire dans la structure
de sa vie quelque changement que ce soit, ce n’était jamais à la légère. Il
avait horreur de l’improvisation comme de l’imprévisible. La fantaisie n’était
pas dans ses habitudes.
Aussi lorsqu’il avait décidé de partir, n’avait-il
pas pris sa décision à la légère : il s’était renseigné, avait
méticuleusement préparé son départ. Il savait qu’il lui faudrait être léger,
qu’il ne pouvait envisager d’emporter avec lui le moindre objet inutile mais
qu’au contraire chacun d’entre eux devait non seulement être indispensable
mais, dans sa catégorie, être le meilleur de tous les objets possibles.
Il gagnait bien sa vie. Il était arrivé à une période
de son existence où l’argent n’était plus un problème. Il pouvait donc choisir
l’excellence. Il se renseigna longuement tant auprès de ceux dont il pensait
qu’il allait emprunter le mode de vie que de professionnels reconnus.
Les chaussures, par exemple. Il savait que, pour
l’essentiel, il ne pourrait en avoir qu’une paire ou que, du moins, il ne
pourrait en avoir qu’une paire à la fois car s’il devait en changer il lui
faudrait abandonner les anciennes pour les nouvelles. Si jusque là il en
possédait une bonne vingtaine de paires de toutes sortes n’ayant chaque matin
que l’embarras du choix, dès qu’il serait parti, cette facilité lui serait
interdite. Il hésita longtemps, posa beaucoup de questions sur ce point. Ces
chaussures devaient être confortables, légères, très solides — car il savait qu’il
devrait beaucoup marcher—, ni trop chaudes ni trop fraîches, résistantes à
l’humidité, éventuellement même à la boue ou à la neige, ne pas demander
d’entretien — car il était inimaginable d’emporter ce qu’il lui faudrait pour
les entretenir. Seul le prix n’importait pas. Du moins pour la première paire.
Ensuite… Il savait qu’il y aurait des imprévus, des surprises désagréables mais
il tenait à les maîtriser le plus possible. Il opta pour des rangers étanches
faits sur mesure avec semelles anatomiques contenant un composant à particules
de charbon réduisant les odeurs. Leur poids n’excédait pas 800 grammes.
Il prépara ainsi son départ avec un soin extrême
soumettant à un long examen chaque chose dont dés lors dépendrait sa vie.