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Écrits de Marc Hodges
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23 avril 2012

Écrire ma vie

Pluie, fatigue, légère dépression de celui qui, se sentant arriver au bout d’une longue marche, regarde en arrière et mesure avec regret tout ce qu’il a parcouru : aujourd'hui je n'ai rien écrit. Écrire tous les jours, quoi qu'il arrive, une page au lever, au coucher, m'est une tâche impossible. Je ne sais concevoir l'écriture comme discipline de vie. Pourtant, elle n'est plus désormais que l'aventure d'un homme dans l'univers des livres. Aujourd’hui je suis rongé par le doute: en quoi ma vie peut-elle intéresser qui que ce soit, comment, à quoi bon, la rapporter à moins de parvenir, d'un cas particulier, à faire une image de l'universel dans une époque où, commerce et consommation mis à part, il est difficile de déterminer ce qui représente l’universel. Les souvenirs n'ont de saveur que lorsque, soutenus par la force du présent ils en rehaussent les saveurs, car sinon ils nous intoxiquent. Difficile ainsi d’aller à l’essentiel de l’écriture, creuser mes souvenirs jusqu’à l’os, n’en conserver que ce susceptible de parler à tous, d’autant plus que j’ignore ce que cet essentiel pourrait être. J’aurais ainsi tant aimé parler de toutes ces familles paysannes qui ont fait mon enfance, de chacun de ces soixante seize habitants avec lesquels j’ai partagé les dix premières années de ma vie et qui, pour une grande part, m’ont fait ce que je suis. Mais ces récits, par leur aspect trop historique ou sociologique, écartent de la littérature. Ma vie n’est pas une histoire policière, elle n’a ni intrigue ni conclusion.

Comme si un cercle devait se refermer, la vieillesse renvoie souvent à l’enfance: plus j’avance en âge, plus les premières années de ma vie me reviennent en mémoire et le film de faits dont j’ignorais me souvenir se projette en moi avec une précision étonnante. Je n’ignore pas, bien sûr, que la plupart des explications que je donne pour décrire le comportement de tel ou tel soit hasardeuse et que les lecteurs auraient pu, d’eux-mêmes, les construire ou en trouver d’autres tout aussi plausibles, mais écrire n’est-ce pas aussi prendre quelques risques ? Dans ce récit, je divague, vais où mes pensées me portent. Je ne parviens pas à me décider pour savoir si cette divagation est la meilleure représentation de la structure de ma vie ou si elle n’est qu’une impossibilité à me décider à choisir. Écrire c’est faire des choix, choisir de ne pas choisir est une faiblesse.

Vieillissant, je deviens obsessionnel, établissant ma vie dans des manies qui la structurent mais aussi l'enferment. Chaque jour: promenade autour du village quand il ne pleut pas; passage au café du commerce; visite de quelque bouquinistes plus ou moins amis car les amitiés de vieillard n’ont plus la fougue et l’exclusivité de celle des hommes jeunes; repas de midi sans vin; lecture parfois durant une de mes promenades dans un coin agréable; séquence nostalgie dans la visite de mon grenier où je me donne comme but jamais vraiment réalisé de trier l'amoncellement d'objets, de photos, de livres, de souvenirs de toutes sortes pour préparer mon abandon de ma maison, au cas où…; repas du soir avec vin et parfois cognac; écriture de ma vie; lecture au lit pour essayer de plus ne plus difficilement de m'endormir.

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