6 heures 21, près de Hures-la-Parade
Toute chose a deux visages: le visage de ce qui passe, le visage du
devenir. Son avidité reste sans réponse. Il s'attarde, rit, réfléchit,
se souvient: il observe. Une haute herbe jaunie souligne la lisière
lointaine des forêts. Comme de vieux plumets dérisoires, des
silhouettes d'arbres malingres soulignent les crêtes des collines. Il
n'a rien dit, rien fait, rien représenté, rien accusé, revendiqué, il
ne possède rien. Colline après colline transforme la beauté en distance
rendant impossible de savoir quel miracle pourrait se produire. On
finit par ne plus vivre que ce que l'on a en soi. Tout lui parle, il
voudrait parler de tout, son activité incessante est de rechercher en
lui des harmonies, d'harmoniser ce monde qu'il porte en lui. Il sait ce
qu'on attend de lui, mais refuse tout enjolivement du monde qui ne
pourrait que l'enfermer dans la fragilité inquiète de ses certitudes.
Il y a dans l'air comme une sourde frayeur de vivre. Il sent, se sent
fort, hésite encore. Il ne sait pas où il va ; il va droit devant lui.
Il a trop longtemps appartenu à la solitude et ainsi désappris le
silence.
Aux canyons trop facilement grandioses, il préfère le dénuement affecté des plateaux. Tout ici se fait dans le calme et le temps éternel. Il écoute les longs échos ronds du temps. La joie vient, elle s'en va. Que faire?… Vert-jaune et gris-fumé… Le vent a cette qualité rare d'être porteur d'éternité. Insensiblement l'air s'obscurcit. Il entend résonner en lui une langue qu'il ne parle pas. L'œil voit, explore l'éventail optique en avant de lui, recherche constamment des concepts d'invariance. Il se force à se redresser, respire profondément… cherche dans la solitude le chemin qui mène à lui-même, ne sait pas où il va… va droit devant lui. Des ombres rapides et brusques courent sur les herbes sèches. Il essaie de ramener à la surface de sa mémoire une journée, un matin, une heure… Il aime tout ce qui a le regard clair et parle franchement, attend la venue de quelque chose d'indistinct.