Mas de la Devèze, 19 heures 32

Les jours commencent et finissent dans une heure trouble de la nuit, l'horizon à la fois est proche et lointain. Après d'immenses étendues presque planes, la glaise soudain s'effondre en de profonds ravins abrupts qui marquent les limites des mondes. Un vieux chien noir-blanc suit Bréauté comme une ombre, seul son halètement rythme le temps, lui cherche ici la terre et sa lumière bleue dont on lui a tant parlé. Buis. Il se sent isolé des autres, tout comme eux-mêmes sont isolés entre eux. Pendant que ses regards s'évadent vers le ciel jusqu'à voir au-delà de lui-même et jusqu'à le délivrer du temps, sa mémoire le ramène aux jours paisibles de son enfance. Comment supporter la vie sans espoir? Il se fige, s'avance, attend la venue de quelque chose d'indistinct mais ne peut vivre qu'en plein vent. Son oreille se tend dans le silence sur un vide en lui qui n'a, soudain, aucun écho. Il échafaude des projets, dresse des plans, rêve. Les bruits et les parfums lui racontent des histoires que sa pensée toute libre enregistre. Il accepte volontiers le joug de la mesure car c'est si peu de choses… Comment se fait-il que son attention consciente soit si étroite, qu'elle ne soit capable de se concentrer que sur un, deux événements tout au plus ? Le temps semble lourd de fatigue. Comment supporter la vie sans espoir?

Le minéral rassure mais la solitude lui monte à la tête, le ciel luit comme une enfilade de perles d'azur. Une couronne de noms tourne dans sa tête. Bréauté vit dans cette solitude comme dans la mer, se demande si le pays qu'il guette est le pays réel ou une projection de son imaginaire. Le décor ici évite les transformation. Il va falloir quitter tout cela. Bréauté n'ignore pas que les mots peuvent prendre le goût intérieur des herbes.

Perdu dans ses pensées, un jeune garçon qui lui ressemble est assis sur un rocher.