De la virginité des batraciens

Avec son gros rocher qu’il a levé debout, il a bouché l’entrée.
Odyssée, chant IX.

Huelgoat, samedi 18 mai, 10 heures

Wilfrid avait passé la journée du vendredi enferrmé dans sa chambre jambe allongée sur le lit, empoisonné de l’odeur de soufre qui se dégageait du pansement. Son principal problème avait été de se procurer quelques crapauds femelle: la femme de chambre à laquelle il les avait demandés (jeune bretonne bien en chair sous sa coiffe, au visage tonifié par vue l’air marin) avait mis longtemps à comprendre ce qu’il désirait. Rougissant légèrement — variation colorée sensible seulement à un œil très exercé vue l’agréable couleur «pomme starking» de ses deux joues — avait d’abord hésité: Oh, monsieur dit elle croyant qu’il lui faisait quelque demande malhonnête, réflexe bien naturel chez une jeune serveuse de la campagne bretonne habituée à la franchise brutale des sentiments amoureux… Puis, lorsqu’elle eut enfin compris (Wilfrid avait dû faire un dessin), elle ne sut qu’en penser — situation chez elle plutôt habituelle — mais comme il avait éveillé sa curiosité comme son intelligence souvent somnolente par l’offre d’un billet de dix euros, elle était aller trouver un vieux braconnier-pêcheur-rebouteux qui lui avait rapporté les bufonidés demandés.

Avec une moue de répugnance, elle en avait livré une vingtaine dans un aquarium qu’elle portait à bout de bras. Le pêcheur avait garanti que ce n’étaient que des femelles. Quant à se prononcer sur leur virginité, vu le mode de copulation des batraciens, il n’osait pas se prononcer.

Wilfrid demanda donc à la servante: savez-vous reconnaître les vierges? Question d’autant plus perspicace qu’il n’était pas, en ce qui le concerne, bien sûr de savoir où, quand, comment, pourquoi on était — ou pas — vierge. Monsieur, s’écria-t-elle se dressant sous sa coiffe et faisant mine de se retirer bien que le fait que la conversation puisse emprunter une traverse porcine ne fût pas pour vraiment lui déplaire… Vous devriez quand même le savoir !…