A l'apic de la Bastide vers 13 heures

Le spectacle lui paraît vaguement hostile, parfois, isolé, un arbre torturé rappelle qu'il peut y avoir du vent, une vibration se concentre dans toutes les parties de l'air, se ramifie, se rassemble sur toute sa surface, le silence lui est suspect, Bréauté ne veut rien omettre, parfois le vide presque absolu de ce paysage qu'il aime l'effraie : aussi loin que puisse remonter la mémoire des hommes, ses oncles, son frère, son père, son grand-père, tous ses arrière grand-pères… ont arpenté ce sol cherchant la paix de l'âme ; les morts vivent en lui, il a besoin d'aimer, rien ici ne lui est étranger, les souvenirs l'envahissent comme des flammes mais ce n'est pas la mort qui fait problème, mais la vie. Il y a tant à faire. Il éprouve comme un vague sentiment de reproche: regret d'avoir abandonné ce pays, rage d'avoir été contraint à l'abandon;. Les secrets perdus hésitent à se montrer. Son temps tire sa substance et vit de la moralité de temps anciens. Durée.

Les choses ne sont pas toutes aussi saisissables, aussi dicibles qu'il aurait aimé le croire. Rien n'est fait pour attirer. Un besoin de paix l'envahit. Il continue à scruter le fond de la vallée de sa mémoire, noue en lui les éléments du temps, en son cœur se mêlent bonheur et peine.

Les lointains se perdent dans de molles ondulations, à la plaine ont succédé les combes, le paysage tout entier baigne dans la couleur verte, un vert comme suri de jaune. Seule note moderne dans cette vue, un paysan s'affaire au loin sur son tracteur. Il aime l'idée d'avoir pour lui seul tant d'espace. Une légère brise fait vibrer les rayons-lyre du soleil. Un oiseau dans l'air serait le bienvenu… Bréauté est repris par ses rêves, peu à peu, ceux de son enfance, de sa jeunesse, finissent par le dominer. Il a l'habitude de ces soubresauts. L'homme qui songe est un dieu, celui qui pense un mendiant.