Bordeaux
Tel en sa nudité Ulysse s’avançait vers ces filles bouclées : le besoin le poussait.
Odyssée. Chant VI
Bordeaux mardi 14 mai, 17 heures 12
- Armelle ! Je m’appelle Armelle, dit la jeune fille à Zabre comme le train entrait en gare de Bordeaux.
Ils étaient seuls dans un compartiment vide, main toujours dans la main car Zabre n’avait pas osé geste plus effronté. Avec ses quarante-cinq ans, ses quatre enfants, sa femme, son chien, ses dix cheveux blancs et son vieux pantalon mal repassé, il se sentait un peu ridicule. Ils avaient parlé de choses et d’autres… surtout d’autres choses.
Il pensa :
- un nom bien féminin…
Il dit :
- Moi, c’est Zabre…
- Enchantée, répliqua-t-elle aussitôt lui tendant la main gauche. Il la prit de sa main droite, seule libre. Elle avait un sourire frais, splendide, lumineux qui lui aurait presque, si cela avait été possible, fait oublier leur différence d’âge.
Elle ajouta :
- Il nous faut changer de train… nous avons ici deux heures d’attente.
Ils descendirent du wagon, d’un accord commun se dirigèrent vers le buffet, allèrent s’asseoir dans une encoignure au fond du bar mais les murs richement couverts de grandes glaces ôtaient toute illusion de solitude, multipliant à l’infini l’image d’un homme mûr accompagné de sa fille, ils créaient même une intense sensation de gêne… Zabre songea que l’enfer pouvait n’être que la vision à l’infini de sa propre image vieillissante. Il sortit d’une poche son agenda de poche et nota cette réflexion.