Une ronde primitive
Efflanqué, sourire sarcastique, oreilles pointues, Yan-gant-y-tan,
dans l’absolu silence de l’affrontement traversa la clairière où les jeunes
gens étaient prisonniers. Alors, au lieu de les attaquer, lentement, menée par
de petits Poulpikan
grimaçants sortis de la forêt, la foule, d’abord
silencieuse puis, peu à peu, fredonnant une sorte de mélopée lente et grave
qu’Armelle se souvint avoir entendue l’autre soir sur la place, se mit à
tourner autour d’eux. Aucune parole distincte, seule une longue, lente, lourde
lamentation sauvage, rauque dont la puissance tantôt forte, tantôt faible,
imposait aux participants un espèce de balancement très animal. Spontanément,
le village, comme une seule entité primitive, retrouvait les pas d’antiques
danses rituelles enfouies au plus profond des gènes de chacun de ses membres, resurgies
d’on ne savait quel recoin obscur, confus, effrayant de leur mémoire commune.
C’était, alors que le ciel rougeoyait à l’ouest, que des nuages de plus en plus
sombres alourdissaient l’atmosphère, comme si un cercle légendaire se fermait,
comme si, dès lors, la communauté revenait à ses premiers âges d’humanité, à
ses exorcismes originels devant l’effroi d’être dans un monde menaçant,
mystérieux, aux premières tentatives d’encouragement mutuel à vivre, dans une
hypnose protectrice, les dangers de l’existence quotidienne.
Lente, prenante, obsédante, la ronde tournait sans fin. Serge,
Robert, Armelle, tétanisés par l’effroi, mais aussi involontairement fascinés,
gagnés eux-mêmes par le rythme et la mélopée, ne se parlaient pas, ne parlaient
pas, incapables d’imaginer pouvoir briser le cercle qui, très lentement, se
resserrait sur eux. Dans un moment de lucidité, Robert chercha des yeux un
moyen de fuir : aucune possibilité de rompre la ronde ; il remarqua
seulement que tous les arbres de la clairière étaient marqués de croix blanches
comme si, d’avance, ce lieu avait été destiné à quelques cérémonies secrètes.
En d’autres circonstances, ce fait l’aurait intrigué, mais là, soudain persuadé
qu’ils allaient devoir défendre leur vie, ce n’était qu’un détail secondaire.