Une fuite échevelée
Soudain, la fermière de Lann-Braz débouche en courant sur la
place, criant: — Ils sont là… ils sont là… Renvoyée chez elle par un mari
encore lucide et soucieux de son honneur, allé avait, sur la route du Gag Noz,
vu venir la Spitfire rouge et s’était, par des raccourcis, précipitée pour
avertir le village. Dans le ciel passe un couple coassant de corbeaux, suivi
d’un lourd nuage noir et d’un vol chaotique de passereaux. Un gigantesque
sentiment de haine semble écraser la place. Aussitôt le silence se fit, les
pétards ne fusèrent plus, les feux de Bengale s’effacent. Ça et là des groupes
se forment, s’arment de tout objet susceptible de frapper, blesser, couper,
trancher : pelles, pioches, pique-feux, fusils de chasse, rouleau à
pâtisserie, hallebarde du suisse, faux, pierre, bouteille brisée, poêle,
casserole… et, conduite par Yvré, la foule s’avance sur la route du Gag Noz.
Sans méfiance, quelques membres du MRA, viennent distribuer leur
feuille quotidienne. Lorsque, dans ses phares, Robert aperçoit la foule qui
barre la route, il réalise aussitôt le danger, tente de faire un demi-tour
rapide : la chaussée n’est pas assez large, il embourbe ses roues sur le
bas-côté… Tous s’extraient alors de la voiture et s’égaillent dans les champs.
Derrière eux, la Spitfire ne tarde pas à brûler.
Serge, Robert, Armelle, ont fui ensemble laissant se disperser
les deux autres militants du MRA. Ils courent vers la forêt dont la lisière
sombre est un mur qu’ils imaginent protecteur mais, acharnée, la foule ne les
perd pas de vue. Armelle s’essouffle. Ils tentent alors de se cacher dans un
des innombrables trous du chaos granitique mais, alors qu’ils y parviennent et
le surplombent, ils voient un groupe de villageois et de paysans, munis de
torches qui examinent toutes les caches à la recherche de tous les autres
membres du MRA, ils entendent le cri d’effroi de l’un d’entre eux précipité
dans le trou du diable : pas d’autre possibilité que de courir
encore ; ils se sentent perdus, pris dans une nasse de haine aussi, quand
devant eux surgit un autre groupe, les deux garçons, dans l’espoir de retarder
les poursuivants et de permettre à Armelle de fuir à la faveur de la bagarre,
décident de faire face. Trop tard, la foule menaçante, hurlante, hystérique, visages
rubiconds, regards exorbités, bouches tordues, dents en avant… les enferme.