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Écrits de Marc Hodges
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14 mai 2006

16 heures au Fraissinet de Poujols

Bréauté se sent la bouche sèche et la gorge serrée jusqu'à la douleur. Il n'a pas de montre. Espace brun. Toutes les odeurs d'herbes se mêlent. Il attend… Ses pensées s'embrouillent. Il comprend les paroles mortes. Stries… Il sent… Terre brûlée.

La glaise a ici une pudeur extrême. Il entend siffler dans le vent les discours trop assurés: "paysage magnifique, surtout ne rien changer, protéger cela, tourisme sélectif, protection, conserver…", imagine que la mort fait déjà son œuvre. Chaque pierre, chaque arbre, chaque colline veut se faire reconnaître, témoignage de quelque ancien passage. Devant lui le ciel caresse lentement la glaise, derrière lui ciel et terre se fondent, il se sent soudain si fragile. L'horizon merveilleux équilibre l'espace sur l'espace. Quelque chose le porte en avant…

Les passions qui l'entourent lui montent à la tête. Les collines lointaines limitent doucement une steppe jaunâtre. Ce sera ainsi. Il endosse un à un les vêtements de l'air pur. Sa route est longue et difficile et il n'est pas encore arrivé au bout. C'est maintenant qu'il est chez lui! Il ne laisse rien de lui au-dehors. Bréauté se sent responsable de la beauté de ce monde. De loin en loin, un bout de pré cerne une lavogne desséchée. Toute accusation avorte ici. Obliques de rouille. Des champs minuscules emboîtent leur puzzle de vert-rouille.

Il y a longtemps qu'il a fait retour en arrière. Il ne connaît pas de règles. Il voudrait n'être qu'un rayon du jour. Il pense: "Les choses viennent, on ne peut pas les empêcher… C'est toujours compliqué et délicat de faire revenir les morts, de souhaiter leur retour…" Il sait trop de choses qui ne comptent pas. Tout ce qui est inquiétant dans l'avenir lui est plus familier et plus rassurant que le présent.

Posés ça et là comme des pièces d'échiquier, des pins minuscules creusent l'espace. Quelques timides pépiements d'oiseaux éclaircissent ça et là le ciel. Il n'est plus entouré que d'ombres. Il imagine la présence de jeunes gens, de jeunes filles. Il s'enfonce toujours davantage dans le ventre mou du causse. Après d'immenses étendues presque planes, la terre soudain s'effondre en de profonds ravins abrupts qui marquent les limites des mondes. Il se dit qu'il n'y a rien à voir dans ce pays, rien de grand, rien pour les guides mais tout lui parle, il voudrait parler de tout. Il se méfie du mot recueillement, souffre de toutes les choses et, souffrant d'elles, en jouit.

L'espace paraît soudain sensible, clair et liquide, comme une chose que l'on pourrait absorber, boire. Il se promet de ne pas être dupe de toute cette beauté, de la force apaisante des lignes, il s'oblige à penser à la mort que cela représente aussi, mais, malgré lui, une tranquille plénitude le gagne. Bréauté connaît enfin le bonheur d'être celui qui guette.

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