Faire un portrait

Soit un peintre.

Il a à faire aux corps, aux mouvements des corps, à leur énergie, aux formes qu’ils déplacent. L’anatomie est son affaire, la représentation sensible du corps.

Un soir — il est en train de peindre une nature morte — on frappe à sa porte… une frappe légère, timide.
Il va ouvrir. C’est une très belle jeune femme, très élégante, un peu rougissante, elle semble embarrassée. Elle lui plaît aussitôt.

Elle ne lui demande rien, entre dans l’atelier. Elle ne quitte pas le peintre des yeux comme pour le jauger, ne regarde pas autour d’elle. Elle semble hésiter…

«C’est un ami qui m’envoie : j’aimerais vous commander un travail. Accepteriez-vous?» demande-t-elle lentement, prononçant ces mots comme une prière.

Elle bredouille un peu. Rougit encore.

Pour la retenir, le peintre, dit : «mettez-vous à l’aise, asseyez-vous». Elle regarde distraitement les toiles exposées, grands mouvements de couleurs vives aux formes vaguement plus suggestives, sensuelles qu’évocatrices. Les toiles sont plutôt abstraites. Elle demande:

«Vous faites aussi du figuratif, n’est-ce pas?»

Le peintre ne sait pas comment interpréter cette question; il ne sait pas ce qu’elle cache. Un peintre travaille avec des formes, des couleurs qu’il assemble. Les rapports au réel sont affaire de conventions, de regards… de sensualité, de culture. Mais il n’a pas envie qu’elle reparte, il répond: «Bien sûr!». Il lui montre alors plusieurs de ses dessins.

«Ils sont très beaux, dit-elle, tombant presque en extase devant ceux évoquant des silhouettes évanescentes d’hommes, de femmes, nus.

Puis elle ajoute d’un trait : «Je voudrais mon portrait…»

«Vous voulez que je fasse votre portrait» insiste le peintre?

«Oui, mais…, elle hésite… je ne voudrais pas un portrait classique… je ne sais si vous allez accepter!»

«Accepter quoi?» demande le peintre.

«Eh bien, murmure-t-elle, désignant un dessin de nu, je voudrais ce genre de portrait?»