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Écrits de Marc Hodges
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6 décembre 2005

Le masque

Ayant recueilli l'accord de l'assistance au sujet de ces insuffisances de prononciation, Palancy prit, sur le portemanteau de faux bambou, la cagoule en bolkha, demanda à Lord Tcholrou de la passer puis de lire à nouveau le texte. La peau fine épousait parfaitement le visage et, n'étaient sa couleur, qui dessinait un profil blanc et un profil noir, ainsi que la dissimulation de la moustache rousse, on aurait pu croire qu'elle constituait la peau originelle de l'anglais. Lecture faite, Palancy reprit la cagoule qu'il remit à madame Organmok puis à Monsieur Faratchi leur demandant de se livrer à la même expérience. Si l'influence de la bolkha fut sans effet sur la jeune femme, il semblait bien, comme voulut bien l'admettre la majorité de l'assistance, que la prononciation du turc s'était améliorée. Ses «r», notamment sonnaient bien plus anglais. Quelqu'un suggérant que, le texte étant resté le même, l'expérience n'était pas probante: Palancy accepta de demander à Faratchi de lire un texte nouveau. L'amélioration de la prononciation resta notable. Palancy prétendit que la prononciation était, pour une grande part, un phénomène musculaire, «un apprentissage de l'outil du masque», disait-il, et qu'il suffisait de très légères modifications dans la façon de placer la bouche ou d'utiliser les muscles peauciers pour provoquer des prononciations notablement différentes: un relâchement trop rapide de l'orbiculaire des lèvres pouvait affecter totalement la prononciation anglaise d'un son. Sa bolkha enregistrant les données musculaires les plus infimes, « apprenait » ainsi en quelque sorte la prononciation de l'anglais et s'avérait capable d'influer sur le masque des lecteurs qui acceptaient de la porter ensuite. Il affirma qu'elle s'améliorait à chaque nouvel usage et que, s'il poursuivait l'expérience avec Lord Tcholrou, la prononciation de Monsieur Faratchi ne tarderait pas à devenir académiquement oxfordienne, que son faciès lui-même en viendrait, à la longue, à présenter une allure anglaise. Quant à Madame Organmok, n'ayant aucune connaissance du code graphique anglais, elle ne pouvait prétendre améliorer sa prononciation d'une langue dont elle ignorait tout. Au mieux, disait-il, le port de la bolkha la mènerait à prononcer n'importe quelle des langues qu'elle parlait avec l'accent anglais. Il ajouta que, formée par un ténor ou une diva, elle pouvait, dans une certaine mesure, amener n'importe qui à mieux placer sa voix et à perfectionner notablement la qualité de son chant. Bien que divers spectateurs aient émis le voeu de vérifier cette hypothèse, Palancy refusa, disant pour s'excuser qu'il désirait nous montrer d'autres propriétés bien plus spectaculaires encore de ce qu'il appelait son «matériau intelligent». Un invité lui demandant si sa peau était susceptible de réapprentissage, si, ayant été formée à l'anglais, on pouvait la former au turc ou à l'ouzbek, il déclara que non. Pour acquérir une nouvelle langue, il fallait changer de masque : il n'avait pas encore trouvé le moyen de réorganiser la mémoire de la bolkha. Et si l'on pouvait, la soumettant à un champ magnétique intense, la rendre vierge de toute mémoire, elle n'avait, dans son état actuel, pas la souplesse suffisante lui permettant de basculer, à la demande, d'une langue dans l'autre.

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