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Écrits de Marc Hodges
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7 août 2014

je ne serai plus pensionnaire

Mon crâne est plein d’histoires plus ou moins absurdes qui, dès que je me laisse aller à un moment de rêverie ou de simple relâchement, interfèrent et s’entremêlent à ma réalité vécue. Aussi je ne suis pas toujours certain que ce que je rapporte soit un souvenir réel ou un moment d’oubli revivifié par mon imagination. Mais je ne dois pas me laisser enfermer dans l’obsession de l’oubli qui menace à mon âge et m’effraie. Sur ce que je fais, sur mes écrits, je n’ai aucune certitude. J’avance en myope, les mots en avant, indécis sur les chemins que mon imagination emprunte. J’écris dans une tranquille douleur inquiète me demandant sans cesse pourquoi je le fais, pourquoi je suis dans l’incapacité de ne pas pouvoir le faire et quel intérêt cela peut présenter pour qui que ce soit d’autre que moi. Fouillant dans mes caisses d’archives, j’ai retrouvé des dizaines de manuscrits que j’avais oublié et, si certains ont bien été édités, chez des éditeurs plus ou moins grands, dans des revues plus ou moins confidentielles, si j’ai eu quelques prix et gagné quelque argent, rien de tout cela ne me rassure. Un lecteur ne me suffit pas, ni dix, ni mille, ni dix mille car leurs lectures, leurs réactions, en définitive, ne me laissent que face à moi-même. Si mon Dieu est l’Écrit, si je suis un mystique de l’écriture, j’attends toujours l’illumination, le coup de foudre qui me prouvera que je suis dans le vrai. En attendant, je ne suis sûr de rien et cette incertitude est mon seul chemin.

Les manuscrits perdus sont perdus à jamais. Je ne sais pas pourquoi je continue à écrire mon autobiographie ? Qui peut bien s’en soucier ? Et à quoi bon écrire dans cette certitude de ne jamais avoir de lecteur d’autant qu’il n'y a pas Un lecteur mais des lecteurs et ce qui "intéresse" l'un n'intéresse pas l'autre. Chacun se débrouille avec ça. Or une phrase ne vaut pas deux fois la même chose, ne vit pas deux fois dans le même contexte. Tout ce qui est dit, écrit, joué, est mort dès que dit, écrit, joué. C’est une forme vide qui ne revit que par la lecture, l’écriture, un jeu nouveau. D’où la nécessité de l’écriture qui, comme le sang chez les aztèques, est nécessaire à la renaissance d’une langue qui ne vit que dans le mouvement, le renouvellement du mouvement. Écrire est, en ce sens, une opération mystique où je tente de me regénérer. Car en dehors de cette médication personnelle, ai-je, vraiment, quelque chose "à dire", quelque chose qui changerait les façons de penser et d'être de mes lecteurs ? Car autrement tout ce que j'écris n'est que distraction. Comme chacun je pense avoir des "choses à dire" et je suis persuadé que le récit de ma vie peut intéresser au-delà d'une heure de train de banlieue, mais d'où me vient cette suffisance ? Dans la grande farce magmatique de la parole contemporaine que compte ma voix? Et si je ne parle que pour moi-même, pour masquer l'inéluctable, n'est-ce pas dérisoire ? Cependant j’avance j’avance tant que la vie me le permet, je laisse ma trace de bave comme l’escargot.

Dans mon année de cinquième, il ne se passa plus rien de remarquable. Le vrai événement fut, à la fin de l’année scolaire, que mon père obtint un poste à Mende : je ne serai plus pensionnaire et je ne savais pas alors si je devais considérer ce changment comme une chance ou une malchance car je savais que la liberté que m’avait donné le pensionnat, les découvertes qui m’avaient alors été permises seraient terminées et, d’une certaine façon, j’appréhendais de me retrouver dans le cocon trop tendre de la famille. Une certaine rugosité de l’existence, la nécessité de m’écorcher aux aspérités quotidiennes allait me manquer.

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