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Écrits de Marc Hodges
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9 août 2015

les livres ont englouti ma vie

C’est aussi à cette époque, sans que je ne puisse établir de rapport entre ces divers événements, que je réalise que mon désir d’écrire est conditionné par celui de lire : la plupart du temps, j’écris en réaction à ce que je viens de lire. Quelquefois par admiration, la plupart du temps par réaction ne supportant pas les habitudes et les tics d’écriture que je remarque de plus en plus dans mes lectures. Mon écriture est plutôt erratique, j’avoue que j’ai beaucoup de mal à rapporter ma vie de façon linéaire, selon un ordre chronologique car mes souvenirs ne me reviennent pas ainsi mais plutôt selon des associations inconscientes et sentimentales qui m’échappent en grande partie. À cette époque là je ne savais non plus vraiment ce qu’était le plaisir de vivre car j’étais enfermé dans l’image que me renvoyait l’ensemble de mon environnement : adolescent précoce, bon élève, fils aimable, sage et plutôt conventionnel bien que, par mes écrits, je me croyais original et rebelle dans ma solitude réelle : ruisseaux, forêts, falaises… livre perdu. La vie est souvent plus absurde que la fiction. Je suis effrayé de ce qui, à chaque instant, meurt d’unique en chaque homme. À cinq heures du matin je lis machinalement Les Quatre Vies des Saules de Shan Sa quand soudain je suis comme réveillé par une phrase anodine : « Était-ce cela la vie ? ». Je réalise alors que je n’ai rien retenu de tout ce qui précède que mes yeux ont parcouru les pages sans qu’elles impressionnent vraiment mon cerveau, que seule cette phrase sommes toutes banale avait réveillé en moi cette  interrogation qui, douloureuse, insistante, obsédante, structure tous mes écrits, ce sentiment pesant d’avoir passé au travers des ans comme au travers d’une brume épaisse, de n’avoir été que par procuration. Lever maussade donc. Pourtant pas de cauchemar mais je pris soudain conscience, comme si dans mon cerveau s’ouvrait une fenêtre sur un paysage inconnu, que les livres avaient englouti ma vie. Comme vieillissant d’un coup, pris d’un accès de faiblesse, incapable d’une décision cohérente, j’ai dégagé un fauteuil, me suis assis au milieu de la pièce et suis resté là des heures à regarder, sans but précis, toute cette faillite de papier qu’avait été ma vie, dans l’incapacité de choisir tel volume plutôt que tel autre. Peut-être une symbiose avec la météo mais qui sait vraiment… L'esprit humain est étrange qui a ses propres rythmes indépendants de toute cause externe. J'ignore encore si je vais me laisser doucement dans le doux confort d’une humeur chagrine ou si je vais réagir. La première personne qui traversera le pont en décidera.

Je me souviens pourtant alors de ces nuits adolescentes, où, tenaillé par des désirs que je ne comprenais pas toujours, je n’arrivais pas à dormir. Et, plutôt que de tourner en vain dans mes draps, je décidais d’avoir recours à mon puissant somnifère favori : la lecture. J’allais dans un placard où étaient déposés — je devrais plutôt dire accumulés tant l’occupait des livres sur un désordre de rayonnages, témoignages sédimentaires de diverses périodes la vie familiale. Promenant mes doigts au hasard parmi eux, retrouvant des titres déjà lus, d’autres qui ne me rappelaient rien, feuilletant au hasard des pages dans l’espoir qu’une phrase me donnerait envie d’aller plus loin pour, dans ma chambre glaciale, réfugié sous l’igloo de ma couette, à la lueur d’une lampe électrique, dévorer tel ou tel récit, avec parfois ces moments, hélas trop rares, où la découverte d’une écriture inattendue me procurait de grands moments d’exaltation.

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