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Écrits de Marc Hodges
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18 juillet 2012

La nostalgie

La nostalgie ne fait pas de la bonne littérature. Je m’enfonce en elle comme dans un édredon de plumes : je pourrais, comme d’autres, raconter en détail cette noce campagnarde que je n’ai pas vécue, les quatre repas interminables, la bourrée dansée sur la place pavée du village avec un musicien jouant de la cabrette, les rares jeunes gens courtisant les rares jeunes filles, les enfants courant en tous sens et profitant d’une liberté inhabituelle pour faire des bêtises, la soutane du prêtre se faufilant parmi les convives et profitant de l’occasion pour faire des remontrances à ceux qu’il ne trouve pas assez assidus à ses offices, les invités citadins de Carmaux un peu perdus dans ce milieu rude et cette ambiance très rustique… Suffit. Retour à l’essentiel de ce qui a fait toute ma vie et que je suis résolu à changer tant qu’il en est encore temps. Car tant que j'étais en bonne santé, j'ai longtemps vécu comme si je n'avais pas de corps ou, plus exactement que je n'avais pas à m'en occuper: il était autonome, indépendant, fonctionnait seul, en silence, répondant toujours sans hésiter à toutes mes sollicitations. J’ai bien eu quelques petits problèmes : carries dentaires, rhume, une fois un bras cassé dont je parlerais plus tard, mais tout cela était épisodique, un peu douloureux parfois, mais j’avais ancrée en moi la certitude absolue que ce n’était qu’un très court mauvais moment à passer, une averse, un orage dans un ciel d’été. Mais avec l'âge, j'ai dû accepter cette idée difficile à vivre que mon corps avait ses modes de fonctionnement propres sur lesquels mon cerveau n'avait pas réellement de prise. J'ai de plus en plus souvent de petites problèmes, sans gravité mais qui m'irritent plus qu'ils ne m'entravent: je suis bien obligé de prendre en compte ce fait nouveau. Parfois, par exemple, sans raison aucune, je ne suis pas bien: envie de vomir, mal à la tête, fatigue; parfois encore ce sont des rhumatismes qui bloquent mon pouce ou mes genoux; ma vue s’étiole et j’entends de plus en plus mal; je n’ai plus mon appétit d’ogre et mon corps devient paresseux… rien ne va plus, de maître actif je me sens ravalé par lui au statut d'esclave de ses caprices. Je ne veux plus regarder en arrière, je ne peux plus être celui que j’ai été, il est donc temps d’en laisser quelques traces et si l’écriture ne restitue jamais les sensations de la vie, elle permet cependant d’en construire la mémoire. C’est à cela que je veux me consacrer. Aussi, cette nuit, lors d’une de ces insomnies de plus en plus fréquentes où mes pensées tournent dans leur bocal, j’ai pris une décision. Je suis parfois long à me décider mais lorsque je le fais, c’est irrévocable. Désormais je n’achèterai plus de livres, ni papier, ni pour ma liseuse. Ma maison en est pleine, plusieurs milliers certainement, et je suis loin de les avoir tous lus. A cela, plusieurs raisons: d’abord je perds trop du temps qui me reste à lire de nouveaux livres sans intérêt; ensuite je trouve sur Internet nombre d’ouvrages numérisés gratuits ; enfin j’ai complètement oublié la plupart des livres que j’ai déjà lus. Trop de temps perdu à lire des vies, réelles ou imaginaires, qui ne me concernaient que par procuration. Je vais, sans illusion, car je sais que tout lecteur regrettera un jour ce temps perdu, revisiter la mienne.

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