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Écrits de Marc Hodges
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3 mai 2012

Plongée dans la mystique


— LXXV —

Paris, lundi 28/12/2015, 23:23:53

Comme chaque fois qu’il émerge du profond sommeil succédant aux séances d’effusion mystique provoquées par l’immersion dans son costume-de-données, Sidney se dissout dans l’esprit d’Alcathe: il devient autre… Par son dédoublement, son moi s’intègre à un être collectif dont il fait partie mais qui le dépasse. Il s’efface devant un Autre indescriptible, unique, collectif. Lorsqu’il resurgit dans la séparation douloureuse de la réalité, il ressent comme un besoin irrépressible, la nostalgie de cet effacement momentanément perdu, territoire auquel il aspire et qui lui manque. S’il ne tenait qu’à lui, il ne quitterait jamais ce cosmos virtuel dans lequel son être physique, son être spirituel et son être virtuel s’accomplissent merveilleusement dans l’égarement de la volupté. Désormais, il sait qu’il ne pourrait s’en passer. L’aspiration de son être est de s’y dématérialiser à jamais. Au retour, faim, soif, solitude, fatigue, — souffrance parfois —, reprennent leurs droits sur son corps. La faim surtout… Par crainte de ne pas être compris des autres adeptes, il n’ose pourtant en parler: les repas de céréales et de fruits ne suffisent pas à son corps vigoureux… Mais comme depuis qu’il a accepté d’être des leurs il ne sort plus qu’en bande, que la plupart du temps il est isolé dans cette pièce blanche qui lui sert de cellule de méditation, il n’a aucun moyen de manger plus que ce qu’on lui donne. Après tout, ce n’est pas important, ce que lui apporte son accueil dans le groupe vaut bien quelques efforts. S’il le faut, il est prêt à bien davantage.

Alcathe ne sait pas trop l’heure qu’il est. Il se situe dans une dimension du temps où jour et nuit, durée, absence et présence à la chronologie ont perdu toute importance. Le temps est pour lui ce qu’en fait la vie collective. Seul dans sa cellule dont il ne cherche pas à sortir parce qu’il n’est pas prisonnier, que dehors il n’a rien d’autre à faire, il attend. Assis en tailleur sur la moquette, il regarde les murs blancs. Il laisse dans son cerveau tourner des phrases, entendues lors des séances collectives de lecture, la plupart du temps par l’intermédiaire des écrans, ou dans de rares entretiens en tête à tête avec tel ou tel frère… ou bien phrases venues d’il ne sait où qu’il croit être les fruits de sa maturation intellectuelle. Même si, à l’état conscient, il n’en perçoit pas toutes les significations.

“La blancheur n’est pas une chose qui possède la couleur blanche. Ce qui possède la blancheur, c’est quelque chose d’autre que la blancheur elle-même; le corps, la matière. L’existence n’est pas une chose qui possède l’être; l’existence n’est pas quelque chose d’existant. Ce qui possède l’existence, c’est la quiddité.

La semi-obscurité de ces propositions le séduit. D’une part il a le sentiment d’être participant d’une pensée qui, le dépassant en partie, le tire en avant vers un territoire de connaissance et d’intelligibilité auquel il aspire. D’autre part, l’effort d’analyse et d’introspection qu’il doit accomplir non seulement sur chacun des mots, mais bien plus sur l’interprétation de ses conceptions antérieures du monde, nourrit son esprit dans les longues périodes de méditation intemporelles auxquelles le contraint son enfermement semi-volontaire. Enfin ces phrases sont le support aux discussions avec les autres frères et sœurs, soit dans leurs rares séances collectives, soit dans leurs plus fréquents colloques par l’intermédiaire du réseau. Alcathe a l’impression d’être ainsi grandi, de ne plus être le petit Sidney sauvage, semi-inculte, à l’esprit enfermé dans de simples considérations de survie quotidienne. Il participe à une immense aventure intellectuelle dans laquelle, d’une certaine façon, il s’invente, s’attribue son être. Ainsi comprend-il soudain ce message qui, venu dans son cerveau d’il ne sait où, s’impose à lui comme une évidence :

“Il y a l’existence déployée dont la compréhension et l’extension englobent les temples des individus concrets et des quiddités. C’est cet Être, cette existence qui, parmi les êtres non nécessaires, est par essence et en vérité le Premier Émané de la Cause Première, et que l’on désigne aussi comme “l’être divin dont est créée la création”… Chaque être non nécessaire n’a d’autre tâche première que de le magnifier”

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