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Écrits de Marc Hodges
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17 novembre 2011

Sagesse ou désespoir

La création se moque de la créature, lui décoche à tout instant des sarcasmes. Tout est indifférent à tout, chaque être, chaque chose vit ou végète par sa propre loi. Que je fasse ceci ou cela, que je vive ou meure, que je souffre ou jouisse, que je dissimule ou sois franc, que j'aime ou déteste, que je crée ou m'engloutisse dans l'indifférence, qu'est-ce que cela fait au soleil, aux fleurs, aux escargots, aux betteraves. Et même aux hommes?

Une branche tombe sur une fourmi et lui casse la troisième patte à la deuxième articulation; un rocher tombe sur un village et l'écrase; un avion s'engloutit dans les flots; un massacre se déroule au Kénya; je ne crois pas qu'aucun de ces malheurs arrache plus de larmes que l'autre aux yeux des étoiles.

L'homme n'est rien pour l'Univers.

Tu es mon meilleur ami, si ce mot signifie vraiment quelque chose; je mourrai demain… Il est bien évident que, si éploré que tu sois, tu ne te passeras pas de dîner ne serait-ce que deux jours et que, malgré cette épouvantable catastrophe, tu n'en continueras pas moins de jouer passionnément aux échecs. La vie poursuit sa route sans se soucier des victimes qu'elle laisse derrière elle. Quel est celui de mes amis, quelle est celle de mes maîtresses qui, dans vingt ans, se souviendra de mes noms et prénoms, rira de mes plaisanteries, qui me reconnaîtrait dans les rues si je venais à y passer vêtu comme un SDF, pantalon crasseux, veste percée au coude? Si l'on se souvient parfois de ceux qui nous ont quittés, ce n'est que par bribes, souvent de façon décousue, parfois même parce que notre compassion renforce notre image dans la société.

L'homme est indifférent à l'homme. Rares celles ou ceux dont la vie, ne serait-ce qu'un moment, s'arrête avec celle d'un autre.

Oubli et néant, c'est tout l'homme.

Au fur et à mesure que le flot de la vie s’écoule, il me semble devenir de plus en plus épais, je nage désormais dans une eau qui a perdu sa fluidité absolue et se transforme lentement en quelque chose comme une pâte boueuse où avancer me demande de plus en plus d’efforts. Les choses et les événements, autour de moi, s’épaississent et m’échappent: je sais maintenant que je dois peu à peu me débarrasser des multiples impedimenta qui m’alourdissent, peu à peu renoncer à saisir tout ce qui autour de moi se présente pour me centrer sur l’indispensable, l’essentiel. Mais voilà que je ne sais pas bien distinguer cet essentiel de l’accessoire. Faudrait-il, dans un geste de sagesse absolue, renoncer à tout pour assurer le plus longtemps possible la continuité de la nage?

J’ai déjà renoncé au tabac, presque complètement à l’alcool, accepté de moins regarder les jeunes femmes, d’espacer les repas gastronomiques, de limiter ma présence aux fêtes auxquelles on continue à m’inviter, de ne plus vouloir conduire de voitures de luxe, d’être moins attentif à l’élégance de mes vêtements, de ne plus mettre ma vie en jeu dans des expériences limites, de ne plus rester éveillé des nuits entières… Peu à peu je m’approche de quelque chose comme une ascèse où le corps se centre sur lui-même, son rythme, sa respiration, son être… où l’esprit cherche à trouver le maximum de satisfaction en lui-même. Tortue, escargot, Bernard-L’hermite, c’est peu à peu dans ma coquille que je m’enferme faisant le gros dos pour laisser couler le flot vital qui malgré tout m’entraîne.

Faudra-t-il, bientôt, pour vivre, pour continuer à éprouver le désir de la vie dans toute sa plénitude, sa force, sa luminosité, sa couleur, en ressentir la pâte, la texture, je m’isole de toute autre chose et, comme un moine bouddhiste, m’installe au pied d’un arbre et médite sur tout ce que j’aurais, pour l’essentiel, abandonné?

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