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Écrits de Marc Hodges
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19 octobre 2010

La fureur

Il a peur, la peur métastase dans tout son corps, le parasite, le change. Il ne vit plus que dans sa peur, de sa peur, il est peur, respire peur, pense peur. Marchant dans les rues, dans cette rue glauque où il est arrivé il ne sait trop comment, c’est sa peur qu’il voit dans les vitrines ou dans les flaques d’eau que la pluie a formées emplissant les nombreuses irrégularités de l’asphalte.

Il fuit sa peur mais elle ne le lâche pas, l’empêche de faire ce qu’il devrait faire.

Et ça le rend furieux. Furieux de ne pouvoir dominer cette peur qui souligne le moindre de ses pas, dont il n’ose même pas comment imaginer qu’il pourrait se défaire tant il est peur. Autour de lui tout est menace, avertissement, intimidation : ce regard qui pèse un instant sur lui, cette jeune femme qui, semblant prendre une photo d’une vitrine, capte certainement son image, cette caméra de vidéosurveillance à l’entrée d’un immeuble, cette adolescente qui parle dans son téléphone portable, les clients de ce bar crasseux où il n’ose entrer, ce policier qui semble surveiller un carrefour, ce chat… oui, même ce chat… ou ces pigeons qui fondent sur lui d’il ne sait quelle corniche.

Et cette suspicion absolue lui est une douleur car il enrage de ne savoir y mettre un terme. Tous ceux qu’ils croisent, tous ceux qu’il aperçoit, même très brièvement, ne peuvent que lui être hostiles. Il sent monter en lui une rage effroyable, l’envie de crier à tous la haine que la peur lui inspire.

Il voudrait tant avoir le courage de se battre, se révolter, être capable de faire front. Il est furieux d’avoir honte, d’avoir le sentiment d’abandonner sa famille faute d’un courage suffisant pour résister aux menaces qui les cernent. Il sait qu’ainsi il renonce à l’essentiel de ce qui, jusque là, le faisait tenir debout, sa certitude d’être. Mais le crabe de la peur serre son ventre de ses pinces puissantes et sa fureur enfle contre lui-même et le monde et ces deux sentiments violents, ces deux commotions douloureuses luttent en lui crispant ses muscles, tétanisant ses mâchoires, l’obligeant à fermer les yeux sur le monde pour essayer de voir un tant soit peu clair en lui, pour recouvrer une part, ne serai-ce qu’infime, de sa capacité à voir le monde pour le maîtriser, s’extraire des tortures vives de sa peur, recommencer à vivre.

A chaque fois pourtant, c’est sa peur qui triomphe.

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