Histoire d'Hermione et d'Oreste (01)
Bouleversé par ce rejet de son amour,
Zabre veut se ressaisir, aussi essaie-t-il de lire un nouveau traité d’alchimie
reçu la veille. En vain. Brusquement il se lève, sort.
Dans le couloir, il croise le petit
couple de vieillards timides qui, clopinant, n’osent pas le regarder et le
croisent sans un mot.
Histoire d’Hermione et d’Oreste
Tirant d’abord profit d’une mauvaise
grippe, ils l’ont empoisonné, bien proprement, à toutes petites doses
croissantes d’arsenic. A quarante cinq ans, ils en ont fait un vieillard avec
cependant la sympathie et la pitié attentive de tout un quartier. Ils se
dévouaient tellement pour cet homme malade ! On citait leur ménage en
exemple et pourtant, si leur honnêteté morale n’était pas connue de tous, leur
vie à trois aurait prêté le flanc à bien des racontars.
Hermione et Pyrrhus s’étaient connus
pendant le front populaire, à une manifestation, chacun d’eux portait une
pancarte rouge. Quelques temps d’euphorie politique, de joie des conquêtes
sociales… Tous deux, combattants d’une même cause, s’étaient trouvés très
proches d’autant que, à vingt six ans, Pyrrhus était très beau, athlétique
secrétaire syndical d’une usine de gants de Millau et que, elle aussi était
très belle, jeune militante pimpante, enjouée, volontaire, active, exaltée.
Alors ils s’étaient plu… Un an après, dans un enthousiasme collectif déjà bien
déclinant, ils s’étaient mariés. Dans les quartiers populaires de Millau, une
grande fête, le mauvais vin avait coulé à flots : cette union était un peu
le symbole du nouveau monde ouvrier conscient, organisé, combatif. De leur
couple, ne pouvaient naître que des enfants armés pour le combat politique et
résolus à parachever la victoire de leurs parents. L’avenir était en marche…