De Korydwen à la Princesse Leïla (03)
Cette tendance à la confusion
réel-imaginaire est, chez Korydwen, allé croissant au cours des ans. A l’école
primaire, elle s’enfermait souvent dans une rêverie qui, au grand désespoir de
ses maîtres, semblait la mettre en dehors de leurs enseignements. Pourtant,
lorsqu’on lui posait une question, elle répondait. Le malheur est qu’elle ne se
contentait jamais de répondre simplement mais englobait toujours ses réponses —
la plupart du temps pourtant justes — dans des délires imaginaires. Deux plus
deux ne faisaient jamais simplement quatre mais appartenaient toujours à un
récit que Korydwen, sous peine de fondre en larmes ou de faire des crises de colère,
n’acceptait pas que l’on interrompe. Les deux et les quatre devenaient des
personnages épiques qui, s’ils finissaient toujours par faire quatre pouvaient
d’abord, après d’innombrables aventures, avoir à combattre les trois, les six
ou les huit car, seuls, ils ne faisaient rien. Ses maîtres étaient désarmés.
Aussi ont-ils généralement choisi de ne pas s’en occuper vraiment et, puisque
ses résultats continuaient à être un peu au-dessus de la moyenne, de la laisser
passer de classe en classe.
L'événement le plus marquant de son
existence fut, alors qu’elle avait huit ans, d’aller, avec ses parents,
voir l’épisode III de la Guerre des étoiles. Pour une raison qui échappe à tout
cerveau normalement constitué, Korydwen décida dès lors qu’elle ne s’appelait plus
Korydwen mais qu’elle était la Princesse Leïla, sœur jumelle de Luke Skywalker,
fille du Chevalier Jedi Anakin Skywalker et de Padmé Admila, sénatrice de
Naboo. Elle se mit dès lors à collectionner tous les fragments de tissus
brillants et colorés qu’elle trouvait autour d’elle pour se constituer un
étrange patchwork dans lequel elle s’enroulait et qui lui servait de vêtement. Impossible
de l’en empêcher. Plus ses parents la punissaient, plus elle faisait preuve de
résistance : s’ils l’obligeaient à se vêtir autrement, elle ne tardait pas
à se trouver en loques aucun habit ne résistant à sa rage ; s’ils lui
confiquaient son accoutrement, elle restait nue allant même jusqu’à sortir de
chez elle dévêtue plutôt que de porter une autre tenue que celle qu’elle s’était
choisie et qu’elle faisait évoluer sans cesse par l’adjonction ou le
remplacement de nouvelles pièces colorées et brillantes.