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Écrits de Marc Hodges
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18 août 2015

Extase du chant des mots et des phrases

À cette époque-là je plongeais dans la lecture en eau profonde m’immergeant totalement dans les textes où je trouvais non seulement les possibilités d’autres vies mais l’ivresse des profondeurs du langage. Lisant, j’oubliais tout, ma vie, somme toute assez terne et insignifiante s’exaltait de celles qui, bien que ne m’appartenant pas, devenaient alors miennes. Je ne vivais pas par procuration les vies des personnages de mes diverses lectures, je les vivais vraiment comme dans une sorte de mystification mystique où ma personnalité se fondait complètement dans celles qui m’étaient proposées. Il me semblait être ambitieux comme Julien Sorel, téméraire et courageux comme d’Artagnan, cynique comme Valmont, astucieux comme Arsène Lupin, candide comme le personnage de Voltaire, assoiffé de vengeance comme Edmond Dantès. Je changeais sans cesse de vie et croyais m’enrichir de toutes celles qui ne m’étaient pas données et que je savais ne pas pouvoir vivre. Autant dire qu’une grande part de ma vie était imaginaire, virtuelle et que celle que, dans ma chair concrète j’étais contraint de vivre m’apparaissait bien terne et que, plutôt que de m’inscrire dans la vie réelle, je choisissais les voluptés de la vie imaginaire, la lecture du Kamasoutra découvert dans l'arrière boutque de mon brocanteur-libraire plutôt que les quelques séances de masturbation avec des camarades ou mes pitoyables tentatives de flirts superficiels et aléatoires avec quelques adolescentes qui, aussi peu expérimentées que moi-même, n’osaient pas se laisser aller aux attentes de leurs corps corsetés dans les conventions et, souvent, la religion. La littérature était mon monde, mon existence réelle ; la vie réelle n’était que des images floues projetées sur les parois de ma caverne. Je ne rêvais pas de vivre la vie du Capitaine Nemo, ni celle du Grand Meaulnes, car, successivement, je les vivais réellement. Mes lectures ne me faisaient pas projeter dans un avenir à construire car elles étaient ma vie réelle. Je n’étais pas possédé par les personnages de mes lectures, le temps de la lecture j’étais ce personnage. Aux limites de la schizophrénie, je me désintéressais de ma terne vie réelle pour ne m’enfermer que dans des fictions réalisées et ce d’autant que je passais la plupart de mon temps hors lecture, à écrire moi-même, à m’inventer d’autres personnages bien plus passionnants que celui que j’étais réellement.

Extase du chant des mots et des phrases. Je pouvais rester des heures sur telle ou telle phrase d’un romancier ou d’un poète. Les vers d’Apollinaire que je venais de découvrir me mettaient dans un état proche de la transe et pouvaient tourner sans fin à la surface de mon cerveau, musique de fond qui contaminait tout ce que je faisais. Mon attention au réel était ainsi de plus en plus lâche et, bien que cela n’entame pas mes réussites scolaires, je vivais la plupart du temps en suspens dans une sorte d’hypnose, presque de somnambulisme diurne. Les mots ne valaient en effet que pour eux-mêmes, pour leurs pouvoirs sonores, imaginaires, associatifs, beaucoup plus que pour un quelconque rapport au réel. Jouant, plus exactement m’enivrant, de telle ou telle phrase de tel ou tel auteur, je la portais, la retournais, la malaxait en moi jusqu’à obtenir un départ de récit, des vers, ou des phrases que je notais dans un cahier intime et qui me tenaient lieu d’être. Je devenais un être virtuel, un être de langage déréalise.

 

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