Sous Brajette
Parfois
le ciel est calme. André Pagès réfléchit que le temps va s'étirer encore. Où trouver
dans le passé des certitudes, des points fermes, un équilibre ou un appui ? Il
n'est pas le seul à subir. Il observe, respire, se sent responsable de la
beauté de ce monde, vénère et craint le vertige. Depuis longtemps il n'a pas
connu semblable calme. Il cherche dans la solitude le chemin qui mène à lui-même.
Sur sa droite, une vieille bergerie éventrée expose la voûte étonnamment grossière
de son toit de grosses pierres. Il aime la liberté et l'air sur la terre fraîche.
André pense à son enfance, connaît ces lieux muets, fermés sur eux-mêmes. Il y
a dans la nature des lieux où même les serpents se sentent seuls. Il vient pour
aimer, non pour juger. Il y a toujours quelqu'un qui manque auprès de lui.
La
campagne se parle dans sa tête. Il n'ignore pas qu'il y a des cieux de nuages
et des bleus et des soleils ailleurs. Le ciel dévore l'herbe maigre, un vieux
chien noir-blanc le suit comme une ombre, seul son halètement rythme le temps.
Il ne connaît pas de règles, est partagé entre la tentation du vrai et celle
de l'utile. Dans la lumière, le toit métallique d'une grange moderne, brille au
loin. Il voudrait compter l'infinité des pierres des murs, s'enthousiasme du
spectacle de la campagne et tourne cependant en ridicule dans sa tête les évocations
qu'elle lui inspire. Il doit se mettre en garde contre lui-même. André Pagès a le cœur déchiré.
L'espace s'organise aux alentours de sa personne en hauteur et en profondeur, il y a quelque chose qui est mis partout entre ce qui est vivant et lui: il s'éloigne
et sourit, parle d'un monde totalement ouvert.
Les toits ne sont que des éboulis
rocheux parmi les autres. Dans ce paysage, l'homme dérange. Ses mots doivent
servir à confirmer les choses, à marquer la possession. André Pagès se coule dans les
ruisseaux tièdes de l'air.