Fin de conversation
L’instituteur gémit : — Hélas,
non, les habitants ne me respectent pas… il leur arrive même de me battre.
— Ils vous battent ! s’écrient ensemble Robert, Armelle et Wilfrid. —
Ils me battent… Vous savez, si un enfant rapporte chez lui que j’ai osé
critiquer la coutume, les parents viennent me battre. Puis ils enlèvent leur
enfant de l’école, le confient à celle des Tantes et si je n’ai plus délève,
c’est tout le village qui a le droit de me battre. — Et vous n’avez jamais
porté plainte, demande Robert ? — Si… mais vous savez, le garde champêtre
dit que j’appartiens à la commune, donc à chacun de ses habitants… Inaliénable,
ils disent que je suis un bien inaliénable et qu’ils peuvent faire de moi ce
qu’ils veulent… — Vous n’avez jamais demandé votre changement, avance
Wilfrid ? — J’ai essayé, reconnaît l’instituteur, j’ai essayé… mais la mairie
m’établit toujours de très mauvais rapports pour s’y opposer. Ils disent qu’ils
ont trop de mal à s’habituer à leurs instituteurs, ils préfèrent les garder le
plus longtemps possible. Et puis… je suis encore solide, ils n’ont pas vraiment
les moyens de s’en offrir un autre. — C’est vrai, reconnaît Serge, ici ça se
passe comme ça. — C’est inadmissible, s’écrie Robert, il faut faire quelque
chose ! — Vous voyez, je ne peux pas vous aider beaucoup, dit
l’instituteur. — C’est nous qui vous aiderons, affirme Robert. — Oui, disent en
chœur Serge, Armelle et Wilfrid, nous vous aiderons. — Vous savez, dit
l’instituteur d’une voix plaintive, ce n’est pas pour ça que je suis venu vous
voir… On s’habitue aux coups… Le plus dur, c’est de toujours se taire : je
voulais que vous sachiez que je suis avec vous… Un silence, puis comme on
apercevait au loin les premiers lampadaires du village… Arrêtez-moi ici, s’ils
vous plaît, je préfère rentrer discrètement au village… — Comme vous voulez,
dit Robert.
Il freine.
Le maître d’école descend de la
voiture, se déplie. Les quatre amis regardent sa forte silhouette carrée s’éloigner
dans la lumière des phares.