Ordalie
Dans l’envol d’une nuée de taons, Yvré monte sur l’échafaud. Il dit : — Vous allez avancer les uns derrière les autres en alternant une femme, un enfant, un homme ; vous viendrez tourner lentement trois fois autour de la hache, pour l’instant en équilibre, sans cesser de prononcer votre nom à haute et intelligible voix. Puis vous sortirez par l’autre bout de la place où un employé de mairie cochera votre nom sur ses registres. Mettez-vous en rangs… Nous allons commencer.
Comme il termine ses recommandations, six heures sonnent au carillon de l’église dont le portail s’ouvre. En sort Yann Guillet de la Force Latour, curé de la paroisse, précédé deu deux enfants de chœur en grande tenue. Psalmodiant quelques cantiques, sous les regards humbles de la foule immobile, ils s’avancent. Le prêtre bénit solennellement la hache puis va s’asseoir à côté du garde-champêtre tandis que les enfants de chœur rejoignent leur place à ses pieds.
Yvré comprend vite la manœuvre du prêtre: une grossière concurrence déloyale. Si la hache désigne les coupables, le curé pourra toujours prétendre qu’il s’agit d’une ordalie et conservera ainsi, aux yeux de la populace, un prestge égal, sinon supérieur, à celui de l’occultiste. S’il ne se passe rien, le prêtre pourra dire qu’il n’était pour rien dans cette mascarade. Aussi, lorsque Yann Guillet de la Force Latour lui sourit et lui tend la main, Yvré ne le salue que de façon très distante.