Le doux air de la calomnie
— De toutes façons, poursuit Yvré, il faut préparer la
population. Il n’est pas mauvais de faire comprendre le danger que représente
le MRA. Tenez, par exemple, lorsque vous êtes arrivés, je recevais la petite
bonne du Roi Artus, et bien, je crois m’en être fait une alliée. Parlez,
provoquez des discussions, de l’indignation si vous le pouvez. Avec de pareils
adversaires, il ne faut pas hésiter à calomnier. Les âmes simples ont besoin d’arguments
percutants. On peut, par exemple, répandre le bruit qu’ils ont contacté des
agitateurs papous, des contrebandiers basques, des bandits sardes, des
camoristes, des assassins ouzbeks ou tchétchène, un meurtrier en série, quelques
pédophiles, des djihadistes… ça ne peut pas être mauvais. Et même s’ils démentent,
ils feront notre jeu, le seul fait d’en parler effraie: l’ombre du
criminel masqué… Un de leurs dirigeants est bien étranger, un français, nous ne
mentons donc pas vraiment, nous nous contentons de mettre en évidence des
vérités possibles dans des mondes possibles. Chaque tête fera alors son propre
travail… — Excellente idée, reconnait Zabre, il faut commencer tout de suite.
faisons des placards, des tracts, des graffitis, laissons traîner des rumeurs,
tout ça fera son chemin. Je vais mettre CMKK sur le coup, avec quelques whiskys,
il ne sera pas difficile à convaincre.
Yvré se lève, ils sont d’accord, la discussion est terminée. Il
raccompagne X… et Zabre jusqu’à la sortie de son antre. Les oiseaux chantent.
Un vent léger remue les feuilles des chênes. Le ciel est laiteux, en attente.
Il leur tend la main. Échange de fortes poignées de main. On se comprend.
Chacun va faire de son mieux.
Comme ils vont se quitter, X… demande : — Et l’Ermite ?
— Inutile de se déranger, c’est un employé municipal, il sait ce qu’il a à
faire…
Ils s’éloignent. Zabre propose à X… de l’accompagner jusqu’au
village. X… affirme être sur le point de déterminer la position exacte du
centre d’émanations des fluides uraniens, il doit terminer ses calculs. D’urgence.
Zabre comprend. Ils se séparent.
Zabre rentre seul. Marche à travers les bois, puis la lande. Les
genêts sont en or. Harmonie jaune et vert. Il entre dans le village, passe
devant la mercerie, remarque plusieurs femmes discutant avec passion. Sourit.
Caresse son absence de barbe. Il regagne sa chambre, ouvre un magazine. Lit le
cinq cent vingt cinquième épisode de son feuilleton « Albertine revient
».
Se dit qu’il est bien seul. Songe à Armelle. Pleure. Un peu…