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Écrits de Marc Hodges
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25 février 2008

Soirée d'été

Un soir d’été, j’avais dix huit ans, après le repas, je suis allé me promener au bord de la rivière avec un de mes amies d’alors. Il faisait une fraîcheur délicieuse, qui récompensait d'une journée très chaude. La Lune était levée il y avait peut-être une heure et ses rayons, qui ne venaient à nous qu'entre les branches des arbres, faisaient un mélange agréable de blanc très vif avec tout ce vert qui paraissait noir. Pas un nuage pour effacer ou obscurcir la moindre étoile, toutes étaient d'un or pur et éclatant, encore accru par le fond bleu nuit où elles étaient attachées. Ce spectacle me fit rêver; et peut-être sans mon amie d’alors j’aurais rêvé longtemps; mais la présence d'une jeune fille si désirable ne me permit pas de m'abandonner à la Lune et aux étoiles.

— Ne trouves-tu pas, lui dis-je, que le jour même n'est pas si beau qu'une belle nuit?
— Oui, la beauté du jour est comme une beauté blonde qui a plus de brillant; mais la beauté de la nuit est une beauté brune qui est plus touchante.
— Tu es bien généreuse, repris-je, de donner cet avantage aux brunes, toi qui ne l'est pas. Il est pourtant vrai que le jour est ce qu'il y a de plus beau dans la nature, et que les héroïnes de romans (ce qu'il y a de plus beau dans l'imagination) sont presque toujours blondes.
— La beauté n’est rien, si elle ne touche. Avoue que le jour ne t’a jamais jeté dans une rêverie aussi douce que celle où je t’ai vu près de tomber tout à l'heure à la vue de cette belle nuit.
— J'en conviens, répondis-je; mais en récompense, une blonde comme toi me ferait encore mieux rêver que la plus belle nuit du monde, avec toute sa beauté brune.
— Même si c’était vrai, répliqua-t-elle, je ne m'en contenterais pas. Je voudrais que le jour, puisque les blondes doivent les intéresser, fasse aussi le même effet. Pourquoi les amants, qui sont bons juges de ce qui touche, ne s'adressent-ils jamais qu'à la nuit dans toutes les chansons et dans toutes les élégies que je connais?
— Il faut que la nuit les en remercie, dis-je…
— Mais, reprit-elle, la nuit a aussi toutes leurs plaintes. Le jour ne s'attire pas leurs confidences; d'où cela vient-il?
— C'est apparemment qu'il n'inspire pas ce je ne sais quoi de triste et de passionné qui séduit les amants. Il semble pendant la nuit que tout soit en repos, on s'imagine que les étoiles marchent plus en silence que le soleil, les objets que le ciel présente sont plus doux, la vue s'y arrête plus aisément; enfin on en rêve mieux, parce qu'on se flatte d'être alors dans toute la nature la seule personne occupée à rêver. Peut-être aussi que le spectacle du jour est trop uniforme, ce n'est qu'un soleil, et une voûte bleue, mais il se peut que la vue de toutes ces étoiles semées confusément, et disposées au hasard en mille figures différentes, favorise la rêverie, et un certain désordre de pensées où l'on ne tombe pas sans plaisir.
— J'ai toujours senti ce que tu me dis, reprit-elle, j'aime les étoiles, et je me plaindrais volontiers du soleil qui nous les efface.
— Ah ! m'écriai-je, je ne puis lui pardonner de me faire perdre de vue tous ces mondes.
— Qu'appelles-tu tous ces mondes? me dit-elle, me regardant, et se tournant vers moi.
— Pardon, répondis-je. Tu m'as mis sur ma folie, et aussitôt mon imagination s'est échappée.
— Quelle est donc cette folie?
— Hélas! je suis bien ennuyé de te l'avouer… je me suis mis dans la tête que chaque étoile pourrait bien être un monde. Je ne jurerais pourtant pas que cela soit vrai, mais je le tiens pour vrai, parce qu'il me fait plaisir à croire. C'est une idée qui me plaît, et qui s'est placée dans mon esprit d'une manière riante. Selon moi, l'agrément est nécessaire à la vérité elle-même.
— Eh bien, reprit-elle, puisque ta folie est si agréable, donne-la moi, je croirai sur les étoiles tout ce que tu voudras, pourvu que j'y trouve du plaisir.
— Ah! Ce n'est pas un plaisir comme celui que tu aurais à un spectacle; c'en est un qui est je ne sais où dans la raison, et qui ne fait rire que l'esprit.
— Quoi, reprit-elle, tu crois que je suis incapable des plaisirs qui ne sont que dans la raison? Je veux te prouver le contraire, apprends-moi tes étoiles.
— Non, répliquai-je, il ne me sera pas reproché que dans un bois, à dix heures du soir, j'aie parlé de philosophie à la plus adorable personne que je connaisse. Cherche tes philosophes ailleurs.

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