De l'intérêt des chambres

Il est stupide de penser vivre davantage parce que l’on se remue. Où que l’on soit on trouve assez de raisons d’être.

Mais ça ne fait rien, tout ça n’a pas grande importance, je me trouve bien dans ma chambre, c’est ce qui importe, j’en connais tous les détails, les recoins, les lumières et reflets aux différentes heures de la journée, rien jamais ne peut vraiment m’y surprendre, c’est ce qui importe. Avant, c’était une chambre quelconque comme toutes les chambres, comme celles de Théodule ou de Théophraste (les autres sont encore trop jeunes et n’ont qu’une chambre à eux trois, mais Père parle sérieusement d’aménager une pièce mansardée dans les combles du manoir pour Albe qui commence à être grande, qui va être bientôt femme, pourrait avoir des idées malsaines (au fond, j’ignore si elle n’est pas femme déjà, on ne sait jamais dans cette maison, tout se passe à mots feutrés, en échange de regards entre Père et Mère. Parfois on surprend quelque chose, un sourire, un coup d’œil et c’est ainsi que nous apprenons la plupart des nouvelles familiales comme quand maman est enceinte et qu’elle se regarde d’une certaine façon dans les miroirs pour savoir quand sa grossesse sera visible et qu’elle ne pourra plus attendre pour nous l’annoncer) et qui peut faire part de ses interrogations sexuelles aux plus jeunes), des chambres où rien ne dit que l’on est chez soi si ce n’est le fait de se le dire.

Moi, j’ai choisi tous mes meubles, un à un, dans tous les greniers de la famille. Et il y en a. Tous mes oncles et tantes possèdent des objets mis au rebut au fur et à mesure de déménagements ou d’acquisitions diverses. Ils ont changé plusieurs fois de meubles au cours de leurs existences. Allez savoir pourquoi ?